Facebook, Myspace, Twitter – Questions sur une vague narcissique
Publié dans le magazine Books n° 16, octobre 2010. Par Olivier Postel-Vinay.
Les choses sont allées très vite. Vraiment très vite. En quelques années, le temps de dire ouf. Et voilà. D’un seul coup, plus d’un milliard d’humains ont choisi de s’inscrire sur un réseau social en ligne. Pour ceux qui ne savent pas très bien de quoi il s’agit (il en reste), expliquons-le en deux mots. Le réseau offre à chacun (de 7 à 97 ans) la possibilité de créer sa page Web personnelle. Cette « page » a la profondeur désirée pour y inscrire son « profil » : on y met toutes sortes d’informations sur soi, sur ce qu’on est et ce qu’on fait. Des informations écrites, des photos, des vidéos, du son, que l’on publie ad libitum. Chaque personne ayant conçu sa page peut accéder aux pages des autres membres du réseau, visiter ainsi leur maison virtuelle et les laisser visiter la sienne (en totalité ou en partie). Si vous avez envie de nouer (ou de renouer) une relation personnelle en ligne avec l’habitant d’une autre maison, il vous suffit de lui demander d’être votre « ami ». Le leader actuel des réseaux sociaux, Facebook, a franchi en juillet 2010 la barre des 500 millions d’ « amis ». En moyenne, un usager de Facebook a 130 amis, mais certains en ont beaucoup plus. L’ami a des droits, comme celui de mettre une photo de vous sur votre page sans vous le demander. Chez les jeunes, le temps passé sur un réseau en ligne est couramment d’une heure par jour, parfois bien davantage.
Ce phénomène social sans précédent suscite quantité d’interrogations. Quelle fonction faut-il attribuer au narcissisme, voire à l’exhibitionnisme et au voyeurisme ? Pourquoi y a-t-il plus de femmes que d’hommes ? Les réseaux sociaux se nourrissent-ils d’une accentuation du sentiment de solitude dans nos sociétés ? Est-ce une nouvelle forme d’addiction ? Quels subtils ingrédients ont permis à Facebook de devenir leader, devançant MySpace, sur lequel Rupert Murdoch avait misé ? Le snobisme continue-t-il d’opérer ? Comment se fait-il que Facebook, né chez des étudiants, soit aujourd’hui investi par les parents ?
Que nous dit la multiplication des « amis » sur le devenir de l’amitié ? Sonne-t-elle le glas de cette notion, la transforme-t-elle, y ajoute-t-elle une nouvelle dimension ? Quel est l’impact des réseaux sur la perception de l’information, sur la construction de l’opinion publique, sur le conformisme, sur l’efficacité des groupes de pression, sur la politique ?. Cet impact est-il appelé à croître ?
Quel est aussi l’effet des réseaux sur l’identité de leurs utilisateurs ? Peut-on empêcher une entreprise qui recrute d’aller fouiller le profil des candidats, leur profil actuel mais aussi leurs profils passés ? L’utilisateur, même s’il se retire, peut-il échapper à ses profils, tirer un trait, se refaire une beauté ? Facebook est-il menacé par les réseaux qui privilégieront la confidentialité, ou le désir de se montrer et de regarder les autres va-t-il l’emporter ? Compte tenu des implications pour la vie privée, les réseaux sociaux se verront-ils imposer de strictes règles de gouvernance ? Ou bien les technologies actuellement dans les tuyaux vont-elles se charger de résoudre le problème ? Enfin, les réseaux sociaux sont-ils en passe de damer le pion à Google comme principal support de la publicité sur Internet ? Les usagers des réseaux sont-ils en train de devenir d’abord des consommateurs ?
Pour terminer sur une note positive, le sociologue français Stéphane Hugon suggère dans un livre récent que, dans une société atomisée, en perte de repères, les réseaux en ligne offrent la faculté de « tenter de retrouver un sentiment d’appartenance à un collectif (1) ». Vue sous cet angle, la « célébration de l’amitié », pour superficielle qu’elle paraisse, traduirait la sensation victorieuse d’être à même de refaire autrement ce qui a été défait.
Dans ce dossier :
Notes
1| Stéphane Hugon, Circumnavigations. L’imaginaire du voyage dans l’expérience Internet, CNRS Éditions, 2010.