Il y a deux façons de lire ce dossier. La première consiste à identifier ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas des origines du christianisme : c’est le regard de l’historien. La seconde est de creuser la signification d’une religion qui a bouleversé le monde. C’est le regard du philosophe. Que l’on soit croyant ou non, chrétien ou non, ces deux interrogations sont aussi légitimes que passionnantes.
Au plan historique,
le premier article rend compte du livre d’un spécialiste de l’Ancien Testament, qui vient d’être traduit en français : un festin pour les démolisseurs de mythes. Ils seront ravis d’apprendre que l’épopée de Gilgamesh a laissé des traces dans la Bible, mais surpris de découvrir que l’auteur est un juif pratiquant.
L’article sur Jésus évoque quantité d’ouvrages récemment parus aux États-Unis, le pays qui compte le plus grand nombre de spécialistes, dans ce domaine comme en physique nucléaire ou en climatologie. Une leçon à retenir à propos des Évangiles : mis à part les miracles, ce sont les faits les plus incongrus qui ont le plus de chances d’être vrais. Ainsi Jésus a-t-il probablement, en effet, été baptisé adulte par un ermite dans les eaux du Jourdain. Mais une grande partie des faits racontés dans le Nouveau Testament ont été inventés à des fins apologétiques. Autre leçon : nous ne savons pas si Jésus était porteur d’un message tellement neuf qu’il était propre à bouleverser l’Occident ou si ce message ne peut pas lui-même être considéré comme le produit de la tectonique des plaques de l’Histoire, l’essentiel de son contenu venant alors en fait de la pensée stoïcienne.
Notre dernier article, sur Marie, prend prétexte de la publication d’un ouvrage savant écrit par une médiéviste britannique pour poser des questions troublantes sur la fonction réelle exercée par ce personnage dans l’histoire de l’Église catholique et même de l’Église réformée.
Du point de vue philosophique, en faisant abstraction de toute considération historique, les personnages de la Bible sont à la fois déroutants et dérangeants. D’un côté, Jésus prêche une morale de vie destinée à chacun et aux générations futures ; de l’autre, il annonce que la fin est proche, que le Jugement dernier est imminent. Est-ce conciliable ? Judas est l’abominable traître, mais aussi celui qui rend possible la Passion, donc le salut de l’homme. Faut-il l’absoudre ? Si Marie n’a pas connu les douleurs de l’enfantement, en quoi représente-t-elle la femme ?
La morale de Jésus dérange en profondeur. Elle fait fi des conventions sociales, celles d’hier mais aussi celles d’aujourd’hui : va-t-on inviter à sa table une prostituée, un braqueur ? Si l’on ne peut pas juger son prochain parce que l’on a soi-même péché, faut-il supprimer les tribunaux ? S’il faut rendre à César ce qui appartient à César, à quoi bon contester les injustices du pouvoir ? Et puis, il y a cette contradiction tragique, propre à tous les monothéismes, mais exprimée avec une force particulière dans le christianisme, entre un Dieu bon et tout-puissant et la réalité du mal, dont Jésus est le premier à souffrir. C’est l’écho sans cesse répété du célèbre cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La figure d’un Dieu impuissant hante l’histoire de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident. Au-delà des querelles de doctrine, souvent ridicules, c’est la force du christianisme : il exprime très concrètement les angoisses de l’homme et les tensions de sa condition.
Dans ce dossier :