Portrait de l’écrivain en thatchérien
Publié le 23 mars 2016. Par La rédaction de Books.
C’est le pas de côté dans une vie tout entière dédiée à l’écriture : entre 1987 et 1990, Mario Vargas Llosa abandonne sa chère routine d’écrivain pour se lancer dans la campagne présidentielle péruvienne. Curieux, de la part d’un homme dont l’œuvre dénonce la mécanique infernale du pouvoir, et qui a déclaré un jour : « La bonne littérature finit toujours par montrer à ceux qui la lisent l’inévitable incapacité de tout pouvoir à satisfaire les aspirations humaines. » Mais les campagnes péruviennes sont alors ravagées par la sécheresse et la guérilla maoïste du Sentier lumineux ; le taux de chômage dépasse les 50 % ; l’inflation flirte bientôt avec les 7 600 % par an… Bref, le Pérou est exsangue et Vargas Llosa pense qu’il peut le sortir de la nasse.
Son parcours hétérodoxe d’intellectuel cosmopolite est à la fois sa force et sa faiblesse dans cette campagne. Sa force, car elle séduit d’abord un pays en quête de rupture, dégoûté par une classe politique traditionnelle qui a ruiné le pays : Vargas Llosa apparaît comme une personnalité anti-système. Sa faiblesse, car l’expatrié qui vivait en Europe apparaît peu à peu comme un candidat hors-sol. Et rien n’en témoigne davantage que le meeting qu’il tient en fin de campagne devant la principale confédération syndicale du pays. La journaliste Alma Guillermoprieto raconte, sidérée, après avoir lu les mémoires de l’écrivain, Le Poisson dans l’eau : Vargas Llosa entreprend d’expliquer à son auditoire les méfaits de la sécurité de l’emploi, qui empêchent le Pérou d’« attirer l’investissement, de stimuler la création d’entreprises et la croissance de celles qui existent déjà ». Et l’écrivain d’argumenter : « Ce n’est pas un hasard si les pays qui offrent les meilleurs débouchés en termes d’emploi, comme la Suisse ou Hong Kong ou Taïwan, sont aussi ceux où le droit du travail est le plus flexible ».
L’ancien militant communiste qu’était Vargas Llosa avait été conquis par la démocratie libérale au fil des années 1970 et admirait Margaret Thatcher. Il est arrivé en tête du premier tour avec 27,6 % des voix, puis a perdu au second tour avec 23 points de retard sur Alfredo Fujimori (« Un président comme vous », disait son slogan). Deux jours plus tard, le romancier reprenait l’avion pour l’Europe, et l’écriture.