La politique du masque
Publié le 17 juillet 2020. Par La rédaction de Books.
Le masque que les Français devront porter obligatoirement dans les lieux publics dès la semaine prochaine a été utilisé pour la première fois pour se protéger des épidémies en Chine.
C’est généralement le français Paul Berger qui est tenu pour le premier chirurgien à avoir utilisé « un masque chirurgical » lors d’une opération en 1897. Mais son usage à grande échelle lors d’une épidémie daterait, lui, de 1910. En cette année-là, la peste pulmonaire faisait rage dans le nord-est en Mandchourie. Le médecin chinois Wu Lien-teh revendique cette innovation dans plusieurs publications médicales dont A Treatise on Pneumonic Plague.
Contre la peste
La Mandchourie est alors une région frontalière que se disputent la Chine, le Japon et l’Empire russe, et pour faire face à cette peste qui tue 99% des personnes infectées, des délégations médicales internationales composées de Français, de Britanniques et d’Américains font le déplacement. Dans ce contexte, la mission de Wu est autant scientifique que politique.
Étudiant la maladie, il refuse de s’en tenir au consensus en vigueur. Si la peste est habituellement transmise à l’homme par des rats et d’autres animaux, ce n’est pas le cas ici. Selon lui, la contagion se fait d’homme à homme par la voie des airs. Ses collègues et rivaux sont dubitatifs, mais Wu insiste pour imposer aux soignants, aux malades et à leurs contacts le port d’un masque en tissu qui recouvre la bouche et le nez. Le médecin français Gérald Mesny refuse et mourra de la peste quelques jours plus tard. Wu décrit précisément cet épisode dans ses comptes-rendus de l’épidémie. L’universitaire Christos Lynteris invite cependant, dans un article publié dans la revue Medical Anthropology, à le prendre non pour une preuve de l’efficacité du masque mais pour un élément de la mythologie créée par Wu.
Le masque de la raison
Pour montrer la supériorité de son pays (et affirmer sa prétention sur la Mandchourie), Wu multiplie les publications richement illustrées de photographies présentant des groupes de personnes entièrement masquées de blanc. Son but : montrer comment la Chine a transformé une masse arriérée et superstitieuse en une population éclairée et sensible à l’hygiène. Il fait de « son » masque, qu’il décrit comme l’héritier du bec d’oiseau inventé par le français Charmes de l’Orme contre la peste au XVIe siècle, la dernière étape d’un long processus d’amélioration des mesures prophylactiques contre la maladie, un symbole de l’accès des Chinois à la raison et à la modernité.
À lire aussi dans Books : L’habileté diabolique des virus, juin 2020.