Publié dans le magazine Books n° 97, mai 2019. Par Thomas Small.
Le penseur arabe Ibn Khaldun était un homme du Moyen Âge et un clerc musulman. Mais sa théorie de l’évolution cyclique des sociétés et son concept d’asabiyya, ou « esprit de corps », offrent des clés pour comprendre le monde actuel.
Né à Tunis en 1332, Ibn Khaldun (ici sur un ancien billet tunisien) s’est illustré dans la vie politique du Maghreb et a occupé de hautes fonctions dans plusieurs pays musulmans, du Maroc à l’Égypte.
Dans sa nouvelle biographie d'Ibn Khaldun (1332-1406), Robert Irwin s’emploie à dissiper une idée fausse qui empoisonne son sujet depuis qu’un public d’érudits occidentaux a fait connaissance avec l’œuvre du penseur maghrébin à la fin du XVII
e siècle. Est-ce parce qu’il se livre très peu dans ses écrits ? Ou bien parce que son grand œuvre, la
Muqaddima, est un traité lumineux sur à peu près tout ? Toujours est-il qu’Ibn Khaldun est une page blanche que les penseurs de tous bords ont rempli à leur convenance. Les sociologues y voient le père de leur discipline ; les marxistes, un tenant du matérialisme dialectique ; les économistes de l’offre, le premier à avoir évoqué la courbe de Laffer
1, et ainsi de suite.
Irwin – qui reconnaît en Ibn Khaldun un brillant penseur et lui rend justice avec une remarquable concision – ne veut rien de tout cela. Ce qu’Ibn Khaldun a de captivant, nous dit-il, ce n’est pas qu’il soit, comme nous, une voix esseulée et éclairée qui crie dans le désert arabe de la fin du Moyen Âge. Son inté...