Où est passée la weblittérature ?
Publié le 15 mars 2019. Par La rédaction de Books.
Afternoon, a story, page de garde.
Le Web, inventé il y a trente ans par l’informaticien britannique Tim Berners-Lee, repose sur le principe de l’hypertexte, du texte qui contient des liens vers d’autres textes. Le terme « hypertexte » a été forgé par le sociologue américain Ted Nelson au milieu des années 1960. Et a rapidement intéressé les écrivains.
En 1987, l’Américain Michael Joyce commence la rédaction d’Afternoon, a Story, premier hypertexte de fiction. Trois ans plus tard, il est publié sur disquette. Il est composé de 539 fragments de texte et de 950 hyperliens. Le lecteur choisit lui-même son chemin pour progresser dans le récit. Chaque lecture revient à composer une histoire différente. Et « quand l’histoire ne progresse plus, ou quand elle fait des boucles, ou quand ses voies vous fatiguent, l’expérience de lecture est alors terminée », écrivait Joyce en introduction.
Ce roman annonce une révolution, explique alors l’écrivain Robert Coover dans The New York Times. Le théoricien George Landow la décrit en 1994 dans Hyper/Text/Theory. L’hypertexte est, selon lui, la quintessence de la modernité et est appelé à devenir l’équivalent dans la nouvelle ère numérique de ce que fut la Bible de Gutenberg pour l’imprimerie.
Plusieurs écrivains avaient déjà tenté, sans assistance informatique, de construire des récits à embranchements multiples. Le plus connu est Marelle (1963), de Julio Cortázar. Le romancier argentin en propose deux modes de lecture : l’un linéaire et l’autre en réarrangeant les chapitres selon un ordre indiqué par l’auteur. Vladimir Nabokov avait utilisé un procédé similaire dans Feu pâle deux ans plus tôt. D’autres écrivains, comme Laurence Sterne dans Les Vies et les opinions de Tristram Shandy, gentleman de (1759) se sont également employées à briser la linéarité du récit.
En se passant du papier, les auteurs devaient pouvoir aller encore plus loin. Mais l’engouement pour l’hypertexte n’a pas duré, notamment du fait qu’il s’agit d’une forme d’écrire exigeante et que les interfaces informatiques des années 1990 ne facilitaient pas la lecture, notent les spécialistes de l’écriture numérique Paul LaFarge, Steven Johnson et Dylan Kinnet.
À lire aussi dans Books : L’avenir des livres, juillet-août 2009.