Publié dans le magazine Books n° 87, janvier/février 2018. Par Louis Menand.
L’œuvre et la personne de Freud ont fait l’objet d’innombrables études critiques. Les plus sévères d’entre elles sont souvent justifiées. Pour certains, sa théorie est tout simplement nulle et non avenue. Comment expliquer, dès lors, que les idées du père de la psychanalyse fassent encore partie intégrante de notre culture ?
Sigmund Freud faillit ne pas pouvoir quitter Vienne en 1938. Il partit le 4 juin, par l’Orient-Express, trois mois après l’entrée des troupes allemandes dans la ville. La persécution des juifs viennois avait commencé dès mars – Edward R. Murrow, présent à Vienne pour la radio CBS, fut le témoin oculaire du pillage des maisons juives –, mais Freud refusait d’écouter ses amis qui le suppliaient de fuir. Il changea d’avis lorsque sa fille Anna fut arrêtée et interrogée par la Gestapo. Il put faire sortir une partie de sa famille, mais laissa sur place quatre de ses sœurs. Elles moururent toutes dans les camps, l’une de faim à Theresienstadt, les autres probablement dans les chambres à gaz à Auschwitz et à Treblinka.
Freud se réfugia à Londres, et des amis l’aidèrent à s’installer dans une grande maison à Hampstead, qui abrite à présent le musée Freud. Le 28 janvier 1939, Virginia et Leonard Woolf vinrent prendre le thé. Fondateurs et propriétaires de Hogarth Press, ils étaient les éditeurs de Freud depuis 1924. Hogarth publierait plus tard les 24 volumes de la traduction anglaise des œuvres de Freud, sous la direction éditoriale d’Anna Freud...