Publié dans le magazine Books n° 45, juillet-août 2013. Par Sheila Fitzpatrick.
Comme bien des adolescentes solitaires, Nina cherchait la consolation en notant pour elle-même ses tourments amoureux ou scolaires, ses chamailleries avec ses sœurs, sa tristesse existentielle. Rien que de très banal, si la jeune fille n’avait vécu dans les années 1930 à Moscou. Parce qu’elle consignait aussi les descentes de police, le prix du pain et sa haine des bolcheviks, elle fut condamnée au goulag.
« Qu’ils aillent se faire voir ailleurs, finalement. Il n’y a que Genia qui puisse se passionner pour la société, qui puisse rester des heures à lire ce qu’en ont dit Lénine et Staline, à étudier les exploits réalisés par notre grande Union soviétique. » Ces lignes ont été écrites dans son journal par Nina Lougovskaïa le 2 mai 1933 (Genia était l’un de ses camarades de classe). Quatre ans plus tard, la police secrète confisquait le journal et arrêtait son auteur. Quand les hommes du NKVD le lurent, ils soulignèrent ce passage, ainsi que d’autres prises de position hétérodoxes. Opposition à la nouvelle société ! Mépris pour les réalisations soviétiques ! Et tout cela de la part de la fille d’un ancien socialiste-révolutionnaire (1), déjà arrêté en 1919, juste après la naissance de Nina. En réalité, la mauvaise humeur de l’adolescente, ce 2 mai, s’explique par les malheurs de son père : sa demande d’un permis de résidence moscovite ayant été rejetée, il avait dû s’installer à Mojaïsk, une petite ville de province située non loin de la...