Nico Bleutge, ou comment être un poète allemand au XXIe siècle
Publié dans le magazine Books n° 106, avril 2020. Par Moritz Aisslinger.
Au pays de Goethe, de Schiller, de Rilke, qui peut citer le nom d’un poète vivant ? Même Nico Bleutge, pourtant l’un des grands noms de la poésie actuelle, est un parfait inconnu. Il peut passer des journées à chercher le mot juste. Impossible, dans ces conditions, de vivre de son art. Comment s’en sort-il ?
Nico Bleutge, 47 ans, a publié quatre recueils de poèmes. « Cela peut être très stimulant de découvrir que les mots sont un moyen d’abolir les hiérarchies. »
quel drôle de souhait ce serait, transmettre du sommeil, chaleur se faufiler dans les alvéoles
Premiers vers, première tentative. Il trouve que ce n’est pas encore ça. Pour le début, il lui faut un autre mot, pas « alvéoles ». « Voies aériennes », peut-être ? « Poches d’air » ? « Conduits d’air » ? « C’est important pour moi de ne pas dénaturer pour des raisons esthétiques le processus douloureux que je veux décrire dans ce poème, explique-t-il. Je dois trouver les mots justes. Comment faire ? » Remontons plusieurs semaines en arrière. Nous sommes à la fin du mois de mai 2018 et il fait chaud. Il n’a encore écrit aucun vers du poème, il n’en est pas encore à chercher les mots pour dire ce qui s’est passé six mois plus tôt. Nico Bleutge monte sur la scène du 19e festival de poésie de Berlin, le plus grand événement du genre en Europe. Il est l’un des dix-neuf poètes qui se produiront cet après-midi dans le jardin de l’Académie des arts. Une trentaine de personnes...