Publié dans le magazine Books n° 47, octobre 2013. Par Eleanor Hubbard.
Elle fumait la pipe, adorait ses juments, prenait grand soin de sa toilette et choisissait scrupuleusement les cadeaux pour ses domestiques et son entourage. Grâce à son livre de comptes, nous savons tout, ou presque, de Joyce Jeffreys, riche célibataire anglaise du XVIIe siècle. Grâce à lui, nous disposons aussi d’une mine d’informations sur la condition de vieille fille, le crédit à l’aube du capitalisme, et les convulsions de la Révolution anglaise.
En juin 1646, Joyce Jeffreys perdit ses lunettes. Lorsqu’une domestique les retrouva, la dame d’un certain âge lui donna un pourboire de six pence, puis elle nota comme d’habitude cette dépense dans son livre de comptes. Entre 1638 et 1648, Jeffreys consigna toutes ses recettes et toutes ses dépenses, de son écriture appliquée et régulière. Bien qu’on en sache peu sur sa jeunesse – quand elle est née, par exemple, ou pourquoi elle ne s’est jamais mariée –, on connaît beaucoup de choses sur la conduite de ses affaires, les amitiés et les passe-temps qui occupèrent la fin de sa vie. Jeffreys n’a jamais appris la comptabilité à double entrée pratiquée par les négociants, mais les chiffres notés sur le livre recèlent un trésor, le portrait d’une vieille fille, à une époque où les femmes célibataires étaient supposées socialement invisibles.
Mais l’étaient-elles vraiment ? Pour l’histoire, peut-être, mais pas pour leurs voisins. Jeffreys consigna souvent les pourboires versés par elle aux domestiques qui lui apportaient des cadeaux offerts par les nobles du cru – des venaisons, un dindon, des cerises,...