Publié dans le magazine Books n° 81, janvier / février 2017. Par Louis Menand.
Infatigable pugiliste, exilé en série, le révolutionnaire était aussi un rat de bibliothèque, un bon père de famille et un ami fidèle. Ses idées sont-elles trop ancrées dans le XIXe siècle pour rester pertinentes ? Les évolutions récentes plaident pour un retour à certains de ses enseignements.
Le 24 février 1848, ou dans ces eaux-là, parut à Londres un libelle de 23 pages. L’industrie moderne, disait cette profession de foi, avait révolutionné le monde. Ses réalisations surpassaient celles de toutes les grandes civilisations du passé : les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques. Ses innovations – le chemin de fer, la navigation à vapeur, le télégraphe – avaient libéré de formidables forces productives. Au nom du libre-échange, elle avait aboli les frontières nationales, fait baisser les prix, transformé la planète en un espace interdépendant et cosmopolite. Les biens et les idées circulaient à présent partout.
Tout aussi important, elle balayait les vieilles hiérarchies et les mystifications anciennes. Nul ne croyait plus que le lignage ou la religion devaient déterminer le statut. Chaque individu était pareil aux autres. Pour la première fois de l’histoire, hommes et femmes pouvaient observer sans fard leur place dans l’ordre social.
Les nouveaux modes de production, de communication et de distribution avaient également créé une richesse immense. Mais il demeurait un problème : cette richesse était inégalement répartie. 10 % de la population possédait la quasi-totalité de la proprié...