Mariage pour tous : « Comment on fait les bébés ? »

Le philosophe Francis Métivier passe en revue les questions soulevées par les nouvelles formes de filiation rendues possibles par la PMA et la GPA. Lire cet article sur le Plus.

La question de la filiation pose un type de question d’éthique très pointue : l’éthique par procuration. Il s’agit, dans l’actuel débat sur la filiation, de prendre une décision pour des enfants à naître dans des conditions techniques, technologiques et juridiques bien spécifiques. Le problème de la décision de faire un enfant se pose dans toute procréation, qui, par définition, consiste à donner la vie à un être qui ne l’a pas demandé.

La filiation éthique

Ce problème prend-il une tournure particulière dans le cadre de la PMA ou encore de la GPA, pratiquée par des couples aussi bien hétérosexuels qu’homosexuels ? Le problème devient-il encore plus spécifique dans le cas d’une filiation enfant/couple homosexuel ?

Hans Jonas, dans son ouvrage Le Principe de responsabilité (1979), énonce trois concepts :

1. Le principe de responsabilité lui-même selon lequel, entre autres, nous avons, en tant qu’adultes vivants, la responsabilité de prendre des décisions à la place des êtres qui ne sont pas en mesure de le faire par et pour eux-mêmes, tout simplement parce que, pour l’heure, ils ne sont pas encore présents. Comme les générations futures ou, plus proches de nous encore, nos enfants à naître.

2. L’idée du développement durable : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité de l’homme comme objet de ton vouloir. »

3. Le principe de précaution : s’abstenir de toute décision si nous ne sommes pas tous convaincus de l’absence d’effets nuisibles d’une action que nous voudrions engager, et alors rechercher à développer les connaissances sur le sujet afin de trancher sans passion.

Ces trois idées philosophiques ont fait leur chemin et trouvent aujourd’hui leurs traductions politiques, juridiques et sociales dans bien des domaines. Pourquoi ne les utilisons-nous pas dans le cadre de l’actuel débat sur la filiation ? Ce d’autant que la réflexion de Jonas relève de ce que nous pourrions nommer la filiation éthique, c’est-à-dire la manière la plus souhaitable que nous aurions à transmettre quelque chose à nos propres enfants.

Des histoires de spermatozoïdes, d'ovules et d'origines

Or qu’avons-nous d’abord à transmettre à nos propres enfants ? Probablement une réponse précise à la question « comment on fait les bébés ? »

« Comment on fait les bébés ? » est une question philosophique. Elle cache un « comment j’ai été fait ? » et, par extension, un « d’où viens-je ? », qui exprime par définition la question de l’origine.

Quelle origine parmi les origines personnelles possibles ? Imaginons différents dialogues :

Dialogue 1

« Tu es né(e) de la rencontre d’un spermatozoïde de papa et d’un ovule de maman, du ventre de maman.

– Alors c’est exprès que vous m’avez fait à ce moment-là ? »

Là, trois réponses possibles, que je formule de façon purement schématique : oui, nous te désirions ; non, mais nous te désirons quand même ; non, tu n’étais pas désiré, c’était un accident.

Dialogue 2

« Tu es né(e) de la rencontre d’un spermatozoïde d’un papa biologique et d’un ovule d’une maman biologique, du ventre de cette maman biologique. Et nous t’avons adopté(e). »

Là, le problème du désir volontaire d’enfant ne se pose pas. En revanche, se pose une autre question : « Pourrai-je revoir un jour mes parents biologiques ? » La réponse souhaitable serait : « C’est possible. »

Dialogue 3

« Tu es né(e) de la rencontre d’un spermatozoïde d’un homme anonyme et d’un ovocyte d’une femme anonyme, qu’on a mis dans le ventre de maman. »

Le problème du désir volontaire d’enfant ne se pose pas non plus. Mais :

« Pourrai-je revoir un jour cet homme et cette femme d’où je viens ?

– Non. »

Dialogue 4

« Tu es né(e) de la rencontre d’un spermatozoïde de papa qui vit avec papa et d’un ovule de maman qui vit avec maman.

– D’accord, mais… comment on fait les bébés ? »

Dialogue 5

« Tu es né(e) de la rencontre d’un spermatozoïde de papa et d’un ovule d’une femme anonyme, dans laquelle tu as grandi mais qui n’est pas ta mère.

– Pourrai-je revoir un jour cette femme d’où je viens ?

– Non. »

Il ne faut pas se leurrer : l’enfant revient toujours à la question de la cause individuelle première, et donc à une histoire de spermatozoïde et d’ovule. Cette question est d’autant plus évidente que l’enfant ayant deux parents du même sexe confrontera sa situation personnelle au cours de biologie sur la reproduction sexuée.

Autre question que l’enfant posera à un moment donné, celle du coût de sa naissance. Question qui pourrait se poser pour tout type de filiation, mais, de fait, que l’enfant ne pose pas dans tous les cas. Personnellement, je bloque sur la réponse à la question : « Mais cette dame qu’on ne connaît pas, vous lui avez donné de l’argent pour qu’elle me porte dans son ventre ? » L'enfant a le droit de poser cette question.

Les députés, au lieu de se précipiter, devraient s'inspirer de Hans Jonas

Maintenant, revenons à Hans Jonas et appliquons à chacun des cas précédents les éléments de son éthique.

Le principe de responsabilité : sommes-nous capables, dans un débat sous tension sur la filiation enfant/couple homosexuel, de réfléchir et de prendre une décision par empathie, c’est-à-dire en se mettant à la place de l’enfant (je veux dire : l’enfant en général, qu’aucun cas particulier d’enfant ou de témoignage personnel ne peut remplacer) ? aurons-nous le temps d’une réflexion en notre âme et conscience ? et aurons-nous la possibilité, en tant que citoyens, d’exprimer une position réfléchie ?

L’idée du développement durable : la filiation enfant/couple homosexuel remet-elle en cause la dignité des générations futures ? Que certaines conjectures et notamment les pires (la disparition de l’espèce humaine ou sa dégénérescence) soient des superstitions ne doit pas nous dispenser de cette question.

Le principe de précaution : avons-nous du recul et, surtout, des certitudes concernant le bien-être existentiel d’un enfant dont la détermination de l’origine personnelle sera complexe ?

Enfin : qui, chez les plus convaincus sur le sujet actuellement en débat à l’Assemblée nationale, et quelle que soit la position, s’est au moins posé ces questions ?

La précipitation du débat actuel (débat n’est pas réflexion) a, me semble-t-il, pour effet d’éluder ces interrogations, interrogations qui, puisque nous avons la responsabilité de nous les poser pour nos enfants de demain, à leur place, doivent être pourtant posées par tous.

En soi, tout peut s’expliquer. Mais certaines explications semblent plus délicates que d'autres. Sommes-nous vraiment prêts à satisfaire toute demande de la part de l'enfant et dans tous les cas de filiation ? Je ne dis pas que ces explications n'existent pas. Je dis en revanche que nous nous précipitons sur le vote d'un projet de loi auquel les citoyens n'ont pas eu l'occasion de réfléchir. Il s'agissait d'une proposition du candidat Hollande ? Certes, mais qui, avant de voter, s'est posé l'ensemble de ces questions sur la filiation ?

Dire à un enfant « tu es là parce que maman et papa t'aiment (ou maman et maman, ou papa et papa, ou encore maman, maman, papa et papa) » est loin d’être satisfaisant. Les enfants veulent des réponses concrètes, scientifiques, moins sur le pourquoi que sur le comment. Éviter de dire comment l’enfant est vraiment né reviendrait aux versions imaginaires d’antan : l’histoire des roses, des choux et de la cigogne. L’enfant sait bien que l’amour n’est pas nécessairement l’origine de l’enfantement, quand il voit par exemple que son petit voisin est battu par ses parents biologiques. Il sait que l’amour est une raison d’être permettant de comprendre, mais pas une cause permettant d'expliquer.

Mon rôle, ici, n’est pas de me positionner pour ou contre le mariage homosexuel, l’adoption d’enfants par des couples homosexuels, la PMA et la GPA. Et encore moins de prendre ces thèmes ensemble. « Pour » ou « contre » sont des réponses de référendum et celui-ci, sur ces questions et sous le couvert de ce qui est une anomalie constitutionnelle, à savoir l’impossibilité de se prononcer sous cette forme publique sur un sujet de société, qui, par définition, concerne tout le monde, n’aura pas lieu. Ce qui aura pour effet de laisser des questions importantes sans traitement, beaucoup de citoyens dans l’expectative et, au fond, les nouvelles pratiques dans le doute.

Tout ceci est bien dommage, car on n’élit jamais un candidat pour l’ensemble de ses propositions, prises en bloc. Un bulletin de vote n’a jamais été un blanc-seing et ne doit surtout pas empêcher la réflexion avant le débat. Cette réflexion, que tout citoyen doit avoir, est loin d’être encouragée.

Francis Métivier, philosophe.

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