En trente ans de recherches, Sherry Turkle est devenue, d’après le
New York Times, « une sorte de conscience » pour le secteur des technologies. Cette spécialiste de psychologie sociale a décrit
dans un ouvrage édifiant (
Seuls ensemble) notre utilisation de plus en plus compulsive des outils numériques. Comme elle le souligne à nouveau dans « Reconquérir la conversation », « nous nous tournons plus volontiers vers nos téléphones que les uns vers les autres ». Se parler est pourtant loin d’être accessoire. La discussion permet par exemple à l’enfant de développer son sens de l’empathie. Or, aujourd’hui, tous, enfants comme adultes, ont les yeux rivés sur des écrans. À tel point que – et c’est la nouveauté soulignée par Turkle – les usagers eux-mêmes seraient en train de prendre conscience du problème. « Chacun ou presque sait que nous avons besoin de nous déconnecter plus souvent. […] Mais pratiquement personne ne sait comment faire », rapporte Simon Kuper dans le
Financial Times. Turkle ne croit pas que les individus seuls puissent aller à l’encontre d’une société connectée. Le changement passera à l’en croire par la création d’« espaces sacrés », d’où textos et Internet seront bannis (par exemple, en classe, à table ou en réunion). « Lorsque ces limites seront devenues la nouvelle bienséance, on se sentira gêné de vérifier son téléphone dans certaines situations sociales », affirme Kuper. Turkle imagine aussi de généraliser les interfaces incitant les utilisateurs à ne pas rester connectés en permanence. Elle fait à ce propos un parallèle avec l’agroalimentaire : de même que la pression d’une partie des consommateurs a conduit les industriels à développer des gammes de produits plus sains, Turkle pense que les citoyens pourraient obliger les géants d’Internet à proposer des systèmes plus responsables. « La plupart des gens ont appris à ne pas s’enfiler des hamburgers à longueur de journée […]. Le moment est venu de nous fixer les mêmes limites avec nos appareils », conclut Kuper.