Londres au cinéma
Publié en juin 2012. Par Nonfiction.fr.
Comment Londres est-elle représentée au cinéma ? Une réponse non exhaustive, de la cité victorienne à la ville post-attentats, en images et en cartes. Lire cet article sur Nonfiction.fr
« Une rumeur sous une fumée », disait Victor Hugo. Alors que Londres s’apprête à s’imposer sur les écrans du monde entier à l’occasion des Jeux Olympiques, l’ambition de World Film Location London, dirigé par l’écrivain et journaliste Neil Mitchell, est d’interroger la diversité des images véhiculées sur la capitale anglaise par un média structuré esthétiquement et narrativement : le cinéma. Comment les différents réalisateurs travaillent-ils le récit et le lieu ? Quelles images structurent leurs représentations de la ville ? Enfin : jusqu’à quel point les représentations cinématographiques de Londres reflètent-elles son histoire, sa puissance, ses mutations ?
Abondamment illustré, l’ouvrage revient sur cinquante scènes de films tournés à Londres, depuis The Lodger (Hitchcock, 1929) jusqu’aux Promesses de l’Ombre (Cronenberg, 2007), en passant par Passport to Pimlico (Cornelius, 1949), My Fair Lady (Cukor, 1964), ou encore Blow-Up (Antonioni, 1967). Abordés chronologiquement et situés sur une carte, les films choisis révèlent la variété des représentations de la ville et invitent tout autant le promeneur à retrouver les lieux, que le cinéphile à découvrir de nouveaux territoires cinématographiques.
Une sélection d’essais de critiques et d’universitaires dégage les tendances de fond du traitement cinématographique de Londres : des bas-fonds brumeux du Londres victorien (Oliver Twist) jusqu’au Londres british très stylé de Love Actually (Curtis, 2003), sans pour autant exclure les aspects liés à la modernité politique et géopolitique d’une capitale mondiale (Le Monde ne Suffit pas, La Mort dans la Peau). À chaque genre de film correspond un traitement cinématographique singulier de la ville : une gamme chromatique, une attention particulière à certains monuments, une atmosphère urbaine influant sur l’esthétique générale du film et complétant notre construction mentale de l’espace urbain.
À la lecture, on est frappé devant la permanence de la représentation du Londres victorien, une véritable valeur sûre au cinéma : la ville de Jack l’Éventreur (Jack the Ripper, 1976 ; From Hell, 2001), de Sherlock Holmes (les deux films de Guy Richie) et de Dickens (Oliver Twist, adapté par David Lean en 1948, Oliver Reed en 1968 ou encore Roman Polanski en 2005) est un long brouillard peu tranquille, dégageant une esthétique de film noir et historique. Depuis sa reconstitution en studio (les décors d’Oliver d’O. Reed ont été élevés dans les studios de Sheperton), jusqu’à sa construction digitale chez Richie, en passant par le maquillage de Prague dans le film de Polanski, la ville victorienne est aussi une ville reconstruite, fantasmée, travaillée pour alimenter l’imaginaire populaire (Sweeney Todd de Tim Burton). Mais de nombreux cinéastes cherchent aussi à construire le mystère de la ville à partir de la matière urbaine même, comme David Lynch situant Elephant Man dans certains quartiers industriels de Londres.
Il demeure évidemment qu’un seul film ne peut contenir l’entièreté d’un espace urbain, ni sa vérité. Si l’on considère le fameux quartier de Notting Hill, on voit qu’il apparaît tantôt comme un melting-pot fameux pour sa population caribéenne (Pressure, Ove, 1976), tantôt comme un quartier dégradé (The Squeeze, Apted, 1977), ou encore comme un bastion de l’englishness (Coup de foudre à Notting Hill, Michell, 1999). Paradoxalement, l’image faussée du film de Michell contribue à nourrir un imaginaire touristique qui, à son tour, conduit à des évolutions de la forme urbaine et de son peuplement (gentrification, esthétisation).
C’est sans doute aujourd’hui dans le thriller et le film d’action que se révèle le mieux la réalité éclatée du Londres contemporain : l’utilisation du système de télésurveillance dans la gare de Waterloo fournit à La Vengeance dans la Peau (Greengrass, 2007) une de ses meilleurs scènes ; David Cronenberg utilise dans Les Promesses de l’Ombre les espaces liminaires de la ville et interroge les mutations du système mafieux mondial ; et Le Fils de l’Homme (Cuarón) construit un Londres dystopien à partir de sa réalité architecturale contemporaine.
Au fil de ses essais pertinents, dont une étonnante approche du métro londonien comme creuset de monstruosités fantasmées (Death Line, Creep), cet ouvrage ne manque pas d’enrichir substantiellement notre regard sur la capitale britannique, et son cinéma.
Axel Scoffier