L’odyssée du Spray
Publié dans le magazine Books n° 78, juillet-août 2016.
En 1895, un Canadien effectue le premier tour du monde en solitaire à la voile.
C’est l’ancêtre des Tabarly, des Gerbault, des Chichester. Joshua Slocum est le premier à avoir effectué le tour du monde à la voile en solitaire. Un exploit que beaucoup jugeaient alors impossible en cette fin de XIXe siècle. Mais ce navigateur canadien de 50 ans avait une prodigieuse expérience de la mer. Mousse à 12 ans, marin à 16, capitaine à 25, il avait passé presque toute sa vie sur l’eau. En plusieurs occasions, il avait montré un étonnant sang-froid face aux pires dangers. Échoué sur les côtes de l’Alaska, il était ainsi parvenu à construire un autre navire et à gagner sa destination sans perdre un seul homme du Washington.
Avant de se lancer dans son périple, Slocum fit refaire intégralement le Spray, un sloop de 11 mètres dont un ami lui avait fait cadeau. Slocum s’élance du port de Boston par une belle journée d’avril 1895. Son plan initial est de faire route vers l’est et de rejoindre l’océan Indien via le canal de Suez. Mais à Gibraltar, il modifie son parcours : les autorités navales britanniques lui expliquent que la Méditerranée est trop dangereuse pour un navigateur solitaire en raison des nombreux pirates qui y sévissent. Slocum est d’ailleurs pourchassé par une felouque marocaine, peu après son départ, et ne réussit à la semer qu’à grand-peine.
Décidant de poursuivre son tour du monde par l’ouest, il pique vers les Açores et traverse à nouveau l’Atlantique. Il longe le continent sud-américain, faisant plusieurs escales au Brésil, en Uruguay et en Argentine. Il profite d’une halte pour préparer le Spray à affronter les vents violents des mers du Sud, faisant raccourcir ses mâts et modifier le gréement. Il franchit ensuite le détroit de Magellan, redouté pour ses tempêtes. Ayant gagné le Pacifique, océan qu’il connaît comme sa poche, Slocum s’arrête dans les îles Samoa, où il fait la connaissance de la veuve de l’écrivain Stevenson.
Après une halte de six mois en Australie, il fait voile vers le nord, longeant la Grande Barrière de corail ; puis il oblique vers l’ouest et pénètre dans l’océan Indien. Passé les îles Cocos, l’île Maurice et l’île Rodrigues, il accoste en Afrique du Sud un jour de novembre 1897. À Pretoria, un ami le présente à Paul Kruger, le président du Transvaal. Ce dernier, persuadé que la Terre est plate, refuse d’admettre que Slocum soit sur le point d’effectuer un « tour » du monde !
Le marin remonte sans encombre vers le nord, traverse une nouvelle fois l’Atlantique et essuie au large de New York l’une des pires tempêtes de son voyage. Enfin, en juin 1898, il fait son entrée dans Newport. Son odyssée aura duré plus de trois ans, couvrant une distance de 46 000 milles.
Paru un an plus tard, le récit de son aventure, Seul autour du monde, est un immense succès de librairie. Financièrement à l’aise, le capitaine s’installe dans une petite ferme du Massachusetts. Mais le virus de la navigation ne l’a pas quitté. À 65 ans, il repart à bord du Spray pour une expédition vers l’Amazone. Ce sera son dernier voyage : le navire s’abîme dans le triangle des Bermudes et ne sera jamais retrouvé.