L’ivresse du direct

« Il lui fallait remettre la main sur une animalité perdue de vue, enfouie sous les sédiments de la civilisation ».

Chacun de nous a son opposition fondatrice, qui lui donne matière à osciller : la pesanteur et la légèreté, le bien et le mal, le vide et le plein, la droite et la gauche. Chez Dragan, il s’agissait de l’opposition entre le direct et l’indirect. Ces deux valeurs ont chacune une éthique et un imaginaire. Éthique du direct : droit au but, animalité, franc-parler, raccourcis, gain de temps. Imaginaire : le duplex, le tweet, le chien, le mercenaire, l’image, la pornographie. Éthique de l’indirect : obséquiosité, atermoiements, différé, lenteur, rituel. Imaginaire : la religion, les Japonais, le chat, la civilisation, le complexe, le tabou, le langage, l’érotisme. On ne pouvait pas dire, de ces deux pôles, lequel était positif, lequel négatif. Ou plus exactement : le caractère positif ou négatif du direct et de l’indirect, l’estimation morale de cette opposition, différait radicalement selon les milieux et les époques. Dragan avait pu en effet se sentir par le passé en excès d’indirection, ou « boursouflé de culture », comme il avait pu le lire dans un livre au sujet de la ville de...

ARTICLE ISSU DU N°82

SUR LE MÊME THÈME

Dossier L’ère du traumatisme
Dossier La nouvelle guerre froide
Dossier La nouvelle Inquisition

Aussi dans
ce numéro de Books