Publié dans le magazine Books n° 71, décembre 2015. Par Gary Taubes.
Scientifiques achetés, administrations noyautées, chantage exercé sur l’OMS, énormes campagnes de publicité… Depuis les années 1940, tous les moyens ont été utilisés par le lobby du sucre pour nier les effets nocifs d’un excès de glucides dans l’alimentation et promouvoir l’idée fausse que les graisses sont responsables de la maladie cardiaque. Une saga qui rappelle la façon dont l’industrie du tabac a trompé le grand public.
Par un frais mardi du printemps 1976, deux responsables de la Sugar Association s’avancent vers l’estrade d’une salle de bal de Chicago pour recevoir l’Oscar du monde des relations publiques, cette Silver Anvil (« enclume d’argent ») qui récompense l’excellence en matière de « formation de l’opinion publique ». Le lobby venait de réussir l’une des plus spectaculaires volte-face de l’histoire de la communication. Pendant près d’une décennie, le secteur avait été ballotté de crise en crise, les médias et l’opinion s’en prenant au sucre, tandis que les scientifiques commençaient à y voir une cause probable de l’obésité, du diabète et de la maladie cardiaque. (1) Des publicités prétendant que le sucre aidait à perdre du poids avaient dû être retirées à la demande de la Federal Trade Commission, et la Food and Drug Administration (FDA) avait engagé une étude sur ses dangers. La consommation s’était affaissée de 12 % en deux ans. Le sourire qu’affichaient ce jour-là John « JW » Tatem Jr. et Jack O’Connell Jr., respectivement président et directeur des relations publiques de la Sugar Association, leur trophée à la...