Publié dans le magazine Books n° 91, septembre/octobre 2018. Par Emmanuel Todd.
Dans les pays avancés, la corruption est désormais en grande partie légale. Et elle soulève une question fondamentale : le capitalisme peut-il continuer à fonctionner sans une morale contraignante ?
Dans les sociétés occidentales, la corruption est devenue un vrai sujet de préoccupation. Cela ressort clairement des articles présentés dans ce dossier. Pourquoi ? Voilà, selon moi, la vraie question. Je pense qu’il faut mettre cette inquiétude nouvelle en rapport avec l’évolution du capitalisme néolibéral et la montée des inégalités. L’image que l’on se fait traditionnellement de la corruption, en particulier dans les pays en développement, est celle d’une corruption liée à des États trop puissants par rapport à leurs sociétés. L’État contrôlant tous les leviers économiques, les individus à l’extérieur sont obligés, pour vivre, d’acheter les fonctionnaires par des pots-de-vin. Je me souviens qu’à une époque – l’avais-je lu dans le
Court Traité de soviétologie d’Alain Besançon ? – on disait que, sans la corruption, l’URSS n’aurait jamais pu fonctionner aussi longtemps. Dans les systèmes complètement étatisés, la corruption, c’est juste l’appel d’air du marché.
Ce qui est intéressant, c’est que dans les sociétés occidentales actuelles on a affaire au phénomè...