Publié dans le magazine Books n° 27, novembre 2011. Par Samanta Schweblin.
« Il joint ses mains et me supplie avec une mimique adorable, comme un ange sur le point de pleurer. Parfois, les pointes de sa nageoire argentée ondulent un peu et me frôlent les chevilles. Les écailles sont râpeuses mais c’est une sensation agréable. »
Je suis assise dans le bar du port, en attendant Daniel, lorsque je vois l’homme-sirène en train de me regarder depuis le quai. Il est assis sur la première colonne de béton, où l’eau n’atteint pas encore la plage, à une cinquantaine de mètres. Je tarde à le reconnaître, à comprendre ce qu’il est exactement, autant homme de la tête à la taille que sirène de la taille jusqu’en bas. Il regarde d’un côté, puis placidement de l’autre, et finit par se tourner vers ici. Ma première impulsion est de me lever. Mais je sais que le rital, le patron du bar, est un ami de Daniel et qu’il me surveille derrière son comptoir. Je fais semblant de chercher sur la table la note du café, comme si je m’apprêtais à partir. Le rital s’approche pour voir si tout va bien, il me répète que je dois rester, que Daniel ne va pas tarder, que je dois attendre. Je lui dis de ne pas s’inquiéter, que je reviens tout de suite. Je laisse cinq pesos sur la table, je prends...