Publié dans le magazine Books n° 84, juillet / août 2017. Par Freeman Dyson.
En 1950, un brillant physicien italien disparaît avec toute sa famille alors qu’il est en vacances à Rome. Cinq ans plus tard, il refait surface en URSS, où il poursuivra ses travaux jusqu’à sa mort, en 1993. Est-il parti de son plein gré ? A-t-il livré des informations sur les programmes nucléaires occidentaux ?
«Je veux mourir en grand scientifique, pas en tant que votre foutu espion. » C’est ce que Bruno Pontecorvo a répondu en russe, un an avant sa mort en 1993, à un fonctionnaire russe qui tentait d’organiser un rendez-vous avec un historien souhaitant l’interviewer. Jamais Pontecorvo ne fut aussi près d’accréditer la thèse, largement répandue, selon laquelle il avait espionné pour le compte de l’Union soviétique lorsqu’il travaillait sur le projet de réacteur nucléaire canadien dans les années 1940.
«
Vash ïebanyi shpion » : cette expression désigne la façon dont Pontecorvo souhaitait ne pas passer à la postérité. Dans
Le Mystère Pontecorvo, le physicien des particules Frank Close la traduit par «
your fucking spy » (votre foutu espion), ce qui ne rend pas le sens précis du mot
ïebanyi (1). Or Pontecorvo connaissait certainement le sens précis du mot lorsqu’il l’employa. Il reflète son ressenti face au traitement que lui réservaient aussi bien les Russes que les médias occidentaux. Il donne aussi une indication des tourments intérieurs qu’il réussissait si bien à...