Les plus grands esprits, hélas…
Publié dans le magazine Books n° 116, novembre-décembre 2021. Par Julian Baggini.
Un courant bien-pensant s’acharne à discréditer les philosophes du passé et autres figures de notre histoire au motif qu’ils ont parfois exprimé des préjugés aujourd’hui condamnés. C’est oublier que nous sommes tous, même les plus grands esprits, socialement conditionnés.
Admirer les grands penseurs du passé, c’est aujourd’hui prendre le risque d’être taxé d’immoralité. Emmanuel Kant ? On vous rappellera qu’à ses yeux « l’humanité atteint la plus grande perfection dans la race des Blancs. Les Indiens jaunes ont déjà moins de talent » 1. Aristote ? Il va vous falloir expliquer comment un sage entre les sages a pu écrire : « La relation de l’homme à la femme est par nature une relation de supérieur à inférieur et de dirigeant à gouverné. » 2 David Hume ? Il reconnaissait volontiers être « enclin à penser que les nègres, et en général toutes les autres espèces d’hommes […], sont naturellement inférieurs aux Blancs. » 3
Nous voilà pris dans un dilemme. Nous ne pouvons simplement hausser les épaules et juger sans importance les inacceptables préjugés du passé. Mais si nous considérons qu’adhérer à des conceptions moralement contestables disqualifie tout penseur ou homme politique, il ne reste plus grand monde.
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