Publié dans le magazine Books n° 68, septembre 2015. Par Alex Ross.
C’est en Allemagne qu’est apparu le premier militant gay, là qu’est née la première organisation de défense des homosexuels, là encore qu’est sorti le premier film positif sur les lesbiennes… À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, Berlin était la Mecque de l’homo-érotisme. Il régnait dans ses bars, sa presse, ses rues une liberté encore inconnue ailleurs, héritée notamment de la tradition romantique. Les persécutions nazies ont occulté la richesse de cette histoire.
Des travestis prennent un verre au club Eldorado, un des principaux bars gays de Berlin, en 1933. Témoignage d'une culture homosexuelle festive à laquelle l'avènement du nazisme sera fatale.
Le 29 août 1867, Karl Heinrich Ulrichs, un avocat de 42 ans, prit la parole devant le 6e Congrès des juristes allemands à Munich pour proposer l’abrogation des lois interdisant les relations sexuelles entre hommes. En s’avançant vers le pupitre, face à un auditoire de plus de cinq cents personnalités éminentes du monde du droit, il ressentit une bouffée d’angoisse. Il se souviendrait plus tard qu’une idée lui avait alors traversé l’esprit : « Il est encore temps de ne pas parler, et ton cœur cessera de battre la chamade. » Mais Ulrichs, qui avait déjà révélé ses penchants homosexuels dans des lettres à sa famille, ne recula pas. Il déclara à l’assemblée que les personnes dotées d’une « inclination sexuelle contraire à la coutume » étaient persécutées en raison de pulsions que « la nature, qui gouverne et crée dans le mystère, avait implantées en eux ». Ce fut un tollé, et Ulrichs fut contraint d’abréger son allocution. Mais il avait produit son effet : quelques collègues aux idées larges souscrivirent à cette idée d’une origine innée de l’homosexualité, et un responsable bavarois...