Publié dans le magazine Books n° 69, octobre 2015. Par Carlos Fraenkel.
L’antijudaïsme a-t-il joué un rôle aussi important dans la formation des idées islamiques que pour les premiers chrétiens ? Une chose est sûre, Mahomet a établi son autorité religieuse et politique en triomphant des Juifs ennemis. Et si l’histoire recense moins de persécutions en terre d’islam qu’en terre chrétienne, les exemples abondent malgré tout. Mais il faut attendre l’époque contemporaine pour voir se répandre l’antijudaïsme islamique.
Par son ampleur et son ambition, le livre de
David Nirenberg sur l’antijudaïsme rappelle
L’Orientalisme d’Edward Said. (1) L’un et l’autre formulent une critique virulente de la civilisation occidentale. Pour Said, la représentation que l’Occident se fait de l’Orient est une distorsion idéologique au service de l’impérialisme. L’Oriental est l’Autre par rapport auquel il se définit et qu’il tente de dominer. Nirenberg, lui, s’intéresse aux conflits et aux inquiétudes internes à la civilisation occidentale, depuis une perspective inattendue : quand les Occidentaux découvrent un défaut dans un pan de la société ou de la culture, soutient-il, ils y voient toujours quelque aberration juive. Pour lui, cet antijudaïsme omniprésent n’a pas pour cible, le plus souvent, des Juifs réels, mais des Juifs que l’on s’imagine – Pères de l’Église et athées, révolutionnaires et conservateurs, capitalistes et communistes, empiristes et idéalistes.
Selon Nirenberg, les gens qui ont un compte à régler accusent leurs adversaires de « judaïser », c’est-à-dire de pré...