Les habits neufs du président Trump

Si on ne comprend rien à ce qui se passe aujourd’hui à Washington, si le futur paraît d’une inquiétante opacité, il faut regarder en arrière : vers les quatre années « d’exil » (2021- 2025) que l’ex-président Trump a endurées dans sa Maison-Blanche-bis de Mar-a-Lago, et que le journaliste Michael Wolff a scrutées sans la moindre bienveillance. « Trump-obsessed », Wolff a méthodiquement suscité/recueilli des monceaux de confidences/trahisons en provenance d’une nuée de courtisans recrus de jalousies et de frustrations. À la lumière (si l’on peut dire) de ce passé-là, tout ce que l’on vit actuellement s’éclaire, mais d’une lueur peu rassurante. Wolff avait déjà raconté comment Le Donald était arrivé à sa première présidence après une campagne consternante et sans l’avoir vraiment souhaité (il entendait juste « devenir l’homme le plus connu au monde », faire encore du fric et jouer tout son soûl au golf). Il était non seulement mal préparé à exercer une telle responsabilité, mais hélas dépourvu des compétences indispensables (« Il ne connaît rien à rien, hormis la promotion immobilière, et c’est un épouvantable manager » écrit James Surowiecki dans la Yale Review). On connaît la suite – « quelque chose de plutôt comique, si ce n’était aussi répugnant et terrifiant », assène Surowiecki – jusqu’au bouquet final, « l’élection volée » et le quasi-coup d’État du 6 janvier 2021.


Mais ce qui allait se passer dans les livres suivants de la tétralogie trumpienne que Wolff a poursuivie avec acharnement (et une indignation mêlée d’admiration incrédule) est encore plus ahurissant. Un : Trump est sincèrement et irréductiblement persuadé qu’il y a eu trucage. Deux : Mar-a-Lago deviendra le décor surréaliste et théâtral d’une réalité « extra-cartésienne », où une cour des miracles d’aigrefins, de fayots opportunistes, de milliardaires énamourés et de jolies conspirationnistes entretiendra dans son illusion celui qu’on continuerait d’appeler « Mr. President » – une illusion abondamment promue via le réseau social trumpien, le très mal nommé Truth Social. Trois : tandis que le Roi Lear de Floride joue au golf en vitupérant, il doit aussi faire face aux assauts juridiques motivés par ses débordements multidirectionnels, politiques, comptables, organisationnels, sexuels... Il faut donc que Trump mobilise une ruineuse armée d’avocats et la malmène épouvantablement pour qu’elle le défende par tous les moyens, au civil ou au pénal, devant des tribunaux fédéraux ou étatiques (Géorgie, New York, Colorado, Floride). Cela n’empêche pas toutefois l’ex-président de côtoyer de plus en plus près la prison et, pire encore, la ruine financière et l’humiliation de ne pouvoir payer personnellement, lui qui se disait multimilliardaire, une caution de 454 millions de dollars. Mais – MAIS – grâce à sa combativité hors norme, Trump va se sortir de presque tous ses embarras.


Il clame en effet à tout-va qu’on le persécute parce qu’il veut redevenir président (et vice et versa), et décide, puisque la justice américaine est tout sauf aveugle, de l’affronter les yeux dans les yeux par médias interposés, insultant les magistrats et transformant la plus humiliante des péripéties judiciaires en formidable plateau TV. Or non seulement le sort lui sourit plus souvent qu’à son tour (le pompon : l’immunité présidentielle concoctée in extremis par la Cour suprême), mais plus il est incriminé, plus il s’en tire d’extrême justesse, plus il est populaire auprès de gens dont il bafoue pourtant les convictions morales et sans doute les intérêts à long terme. Les « Unes » (bonnes ou mauvaises) le font implacablement grimper dans les sondages. D’où le triomphe électoral de novembre 2024, coups de chance – les tentatives d’assassinat, la médiocrité de son opposante – à l’appui... Donc revoici Trump à la Maison-Blanche. Inchangé, sauf peut-être en pire : plus enragé, plus vindicatif, plus enfermé dans sa bulle de réalité alternative. Mais pas mieux préparé (où aurait-il trouvé le temps, alors qu’il a même dû sacrifier le golf ? D’ailleurs Trump écoute très peu et ne lit pas du tout ; il ne croit qu’en son instinct). Et beaucoup plus mal entouré, car les quelques « adultes dans la pièce » de la fois précédente ont été remplacés par la clique de Mar-a-Lago ou des ralliés de dernière minute (dont Melania ?). Si bien que l’on peut s’attendre au pire, conclut l’impitoyable Michael Wolff, car « Trump va persévérer dans le chaos et l’audace qui le maintiennent, conjointement, au centre de l’attention publique et le distraient des problèmes requérant son attention ». En attendant, le narrateur de « cette histoire bien trop extraordinaire pour ne pas être racontée » n’a eu droit qu’à des tombereaux d’insultes (« fake news », « sac de merde ») et une propulsion immédiate au rang de best-seller.

LE LIVRE
LE LIVRE

All or Nothing de Michael Wolff, Crown, 2025

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