Publié dans le magazine Books n° 57, septembre 2014. Par Christopher de Bellaigue.
La Turquie est depuis des années le théâtre d’une lutte sans merci entre deux hommes incarnant chacun une vision de l’islam politique. D’un côté, le Premier ministre Erdogan, aux affaires depuis 2003, régulièrement élu et fort d’un bilan économique impressionnant. De l’autre Fethullah Gülen, un intellectuel influent qui, depuis sa retraite américaine, étend son emprise sur les principaux rouages de l’État. Ce conflit où tous les coups sont permis menace la stabilité du pays.
« Les deux pilotes d’un avion commencent à se battre dans le cockpit. L’un éjecte tous les membres de l’équipage qu’il croit proches de son rival ; l’autre hurle que le copilote n’est pas du tout un pilote, mais un voleur. On perd alors le contrôle de l’appareil, qui commence à tomber rapidement sous les yeux des passagers paniqués. »
Ainsi s’exprime le journaliste turc Can Dürdar dans un récent éditorial, et je ne vois pas meilleure image pour faire comprendre l’affrontement pervers, inutile, presque de caricature, qui s’est emparé de la Turquie depuis décembre 2013, et qui menace d’effacer toutes les avancées politiques et économiques de la dernière décennie. Les deux protagonistes sont le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, 60 ans, et un théologien turc, Fethullah Gülen, de treize ans son aîné. Erdogan est le leader du parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), et il agit au cœur du tourbillon politique d’Ankara, la capitale. Gülen, le plus célèbre prédicateur et mentor moral du pays, vit reclus en Pennsylvanie, et serait en...