Publié dans le magazine Books n° 49, décembre 2013. Par Laura Miller.
Éviscérations, incestes, empoisonnements, actes de cannibalisme, infanticides… Il s’en passe de belles dans les contes de Grimm, même édulcorés au gré des rééditions pour sacrifier à la morale austère de la bourgeoisie allemande du XIXe siècle. Ces récits d’apprentissage sont l’une des expressions les plus sublimes de cet art qui consiste à se raconter des histoires pour apprivoiser nos démons ordinaires, et qu’on appelle la littérature.
J’aimerais vous raconter une histoire : il était une fois une femme qui désirait, plus que tout au monde, avoir un enfant. Un jour d’hiver, elle se coupa le doigt en épluchant une pomme sous le genévrier de son jardin, et un peu de sang s’égoutta sur la neige. Neuf mois plus tard, elle donnait naissance à un garçon à la peau blanche comme neige et aux lèvres rouges comme sang. Elle mourut hélas à sa naissance et, le temps passant, son mari finit par prendre une nouvelle femme, qui lui donna une fille.
Cette belle-mère haïssait le garçon et lui rendait la vie impossible. Un jour, elle l’invita à choisir une pomme dans un coffre ; au moment où le bambin se penchait pour la saisir, elle claqua si fort le couvercle que l’enfant eut la tête arrachée. La marâtre replaça la tête sur le cou et assit le garçonnet sur une chaise. Quand la petite fille méchante rentra à la maison, sa mère l’encouragea à réclamer à son frère la pomme qu’il tenait à la main : « Et s’il ne te répond...