Les arts dans la défaite
Publié dans le magazine Books n° 23, juin 2011. Par Robert Paxton.
Les historiens de la période courent le risque de formuler des interprétations statiques : négligeant l’évolution des événements et celle des individus, ils concluent parfois, à tort, que les résistants furent des exceptions dans le monde de la culture. Pour comprendre la complexité de la période, mieux vaut étudier l’influence de l’Occupation sur les styles artistiques et resserrer le champ des recherches – comme l’illustre une étude sur la destruction des statues de bronze.
La vie artistique et intellectuelle de la France sous l’Occupation constitue un paradoxe. D’une part, des pressions accablantes étaient exercées : la censure, un programme culturel agressif et l’exclusion des Juifs, des francs-maçons et des communistes et apparentés. D’autre part, les autorités, aussi bien vichystes que nazies, favorisèrent les arts chacune pour des raisons propres, et même certains artistes résistants se sentirent tenus de contribuer à la survie de l’expression culturelle française. En résulta une scène artistique étonnamment vivante, quoique dévoyée sous des formes qu’il est passionnant d’examiner.
Dans « La paix honteuse »(1), livre écrit avec verve qui a séduit bien des critiques, le diplomate retraité Frederic Spotts, auteur de nombreux ouvrages historiques parmi lesquels des études sur le culte de Wagner à Bayreuth ou la sensibilité esthétique de Hitler, propose une divertissante (quoique désespérante) galerie de gredins du monde de l’art : égotistes, opportunistes et sympathisants assumés du régime nazi, qui ont survécu et même prospéré dans la France occupée. Le livre se compose essentiellement de portraits corrosifs, fondés sur...