Publié dans le magazine Books n° 46, septembre 2013. Par Petr Fischer.
De l’inédit et encore de l’inédit ; des formules chocs qui « accrochent » ; des concepts dont on change comme de chemise… Telles sont les grandes règles du succès dans la « foire aux idées » du monde contemporain, celle où se conquiert désormais le titre d’intellectuel. Alors que la philosophie est devenue une forme de divertissement, peut-on encore développer une authentique pensée sur le monde, avec ce que cela suppose de lenteur ?
Quelques mois à peine après la « révolution de velours » de novembre 1989, deux « professeurs » faisaient leur entrée sur la scène publique tchèque. Le premier, Václav Klaus, remportera ce titre en étant le principal maître d’œuvre de la construction du capitalisme (1). Le second, Václav Belohradský, peut s’en prévaloir notamment parce qu’il enseigne dans une université italienne (2). Par leur tempérament, leur allure, leur style de pensée, leur langage, leur gestuelle, ces deux personnages incarnent cette catégorie singulière d’individus qu’on nomme les « intellectuels » : toute personne qui considère l’intellect comme l’outil clé pour analyser et donner sens aux mondes extérieur et intérieur. Dans le contexte bouleversé du début des années 1990, les Tchèques considéraient comme leurs « guides sur le chemin de la vérité » – pour reprendre la terminologie d’Edmund Husserl (3) – ces individus qui avaient été longtemps opprimés précisément parce que leurs vérités (économiques, sociologiques, philosophiques, éthiques) accablaient les communistes en révélant la nature perverse du totalitarisme. La vérité en tant que « dévoilement des choses », l’
alèthéia ...