Publié dans le magazine Books n° 4, avril 2009. Par James Wood.
C’est un livre-monument que Patrick French consacre à V.S. Naipaul, prix Nobel de littérature. Connu pour son goût de la provocation, l’écrivain britannique y apparaît en tyran domestique, d’un égocentrisme inouï, faisant de son épouse et de sa maîtresse ses souffre-douleur?; aussi inhumain avec ses proches que sensible aux autres dans ses livres. Mais ce récit au scalpel ne cède pas à la caricature : le monstre est un homme meurtri. Son enfance à Trinidad, ses ancêtres indiens, les rapports entre colonisés et colonisateurs obsèdent l’auteur et inspirent son œuvre. La biographie autorisée de Vidia Naipaul – dont l’écrivain n’a pas changé une ligne – raconte une histoire de honte et de souffrance. Portrait de l’artiste en naufragé.
Le snob public, le salaud magnifique était très en vue lorsque j’ai interviewé V.S. Naipaul en 1994, et tout se passa exactement comme je m’y attendais. Une femme au teint pâle, sa secrétaire, m’a fait entrer dans le salon de son appartement londonien. Naipaul m’a scruté, tendu la main, puis corrigé avec mépris une heure durant. Je ne savais rien, déclara-t-il, de son lieu de naissance, l’île de Trinidad. Je possédais l’habituelle sentimentalité progressiste. C’était une société de plantation. Connaissais-je quoi que ce soit à son œuvre ? Il en doutait. Sa vie d’écriture avait été extrêmement pénible. Mais son grand roman,
Une maison pour Monsieur Biswas, n’avait-il pas été unanimement salué à sa sortie ?, risquai-je. « Prenez la liste des meilleurs livres des années 1960 établie par les lecteurs, m’a-t-il répondu. Biswas n’y figure pas. » Sa secrétaire apporta du café et se retira. Naipaul déclara que le livre n’avait même pas été publié aux États-Unis avant les années 1970 et « les critiques furent alors atroces : illettrées, analphabètes, ignorantes ». Le téléphone s’est...