Publié dans le magazine Books n° 9, octobre 2009. Par William Dalrymple.
La valorisation du désir et des plaisirs sexuels remonte aux plus anciens écrits hindous. Au IIIe siècle de notre ère, le Kâma Sûtra illustre une tradition déjà ancienne. Pour l’aristocratie citadine, l’art d’aimer était une clé de l’art de vivre. Plusieurs livres récents explorent cette réalité surprenante : la sexualité était à la fois source de communion avec les dieux, preuve de bonne éducation et gage de puissance politique. La force de cette culture était telle que le conquérant musulman n’y a pas résisté. Elle n’excluait pas des tensions avec la tentation de l’ascétisme, aujourd’hui exploitée par le puritanisme des nationalistes hindous. Contrairement à ce que la vogue du New Age a voulu nous faire croire, le tantrisme allait à l’encontre de cette philosophie hédoniste. Mais la chair n’est devenue triste, en Inde, qu’au contact des missionnaires chrétiens.
Il n’y a rien de bien original à percevoir l’Inde comme une terre d’immense et grandissante richesse : tout au long de l’ère précoloniale ou presque, l’Occident fut l’avide consommateur des épices, soieries, et autres trésors du sous-continent. Sous le règne de Néron, déjà, l’hémorragie d’or occidental vers l’Inde était telle que le géographe et historien grec Strabon s’en inquiéta dans une lettre, s’interrogeant sur les moyens de résoudre le problème. Une dynastie d’Inde du Sud envoya même un émissaire à Rome pour discuter balance des paiements.
Il flotte encore sur Mamallapuram, port jadis important de la côte de Coromandel [au sud du pays], le parfum de cette Inde sophistiquée, d’une opulence étourdissante. D’imposants bas-reliefs dominent un site où, selon un poète du VIIe siècle, « les navires à l’ancre ployaient au point de rompre presque, chargés qu’ils étaient d’une multitude de richesses, d’éléphants et de gemmes de neuf variétés différentes ». Les sculptures recouvrent le flanc d’une colline : sur la droite, deux éléphants énormes, trompes...