Publié dans le magazine Books n° 17, novembre 2010. Par Simon Kuper.
Fondé par quatre frères hauts en couleur, le Spartak Moscou entretint
avec le Kremlin une relation tendue. Ce club presque indépendant,
protégé par sa popularité, offrait à la fois du beau spectacle et un espace
de liberté. Au grand déplaisir de Beria…
Une nuit de 1942, Nikolaï Starostin, le fondateur du Spartak Moscou, se réveilla avec la lumière d’une lampe torche dans les yeux et deux pistolets sur la tempe. Il s’attendait depuis des années à être arrêté. Lavrenti Beria, le chef de la police secrète de Staline et directeur du Dynamo Moscou – club rival du Spartak –, ne l’aimait guère. Starostin subit de longs interrogatoires dans les locaux de la Loubianka. On l’accusa, entre autres choses, de fomenter avec l’ambassade d’Allemagne l’assassinat de Staline et la fondation d’un État fasciste. Au final, lui et ses trois frères furent convaincus de vol, d’escroquerie et de corruption. Ils écopèrent chacun d’une peine de dix ans d’emprisonnement en Sibérie, une condamnation si clémente pour l’époque qu’elle fit presque figure d’acquittement. « L’avenir ne semblait pas si sombre après tout », nota Starostin dans ses Mémoires. Il savait parfaitement à quoi il devait sa chance : lui et ses frères incarnaient le Spartak, et Beria devait composer avec les espoirs que plaçaient en eux des millions de supporters, des Soviétiques ordinaires.
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