Publié dans le magazine Books n° 45, juillet-août 2013. Par Thomas Powers.
Qu’est-ce que vivre à Dresde quand on est peu à peu exclu de la fonction publique, des parcs, des transports en commun et des bibliothèques ? Quand on est interdit de tabac, de fleurs et de journaux ? Quand il faut remettre aux autorités son canari et sa machine à écrire ? En racontant le quotidien d’une tyrannie dictée par un programme d’extermination, Victor Klemperer livre un témoignage troublant sur l’Allemagne hitlérienne et ses habitants.
Ce que chacun sait – que Hitler a voulu, imaginé et mis en œuvre un projet de destruction des Juifs d’Europe – était resté dans une large mesure caché aux Juifs eux-mêmes jusqu’à un stade très avancé du processus. Le Führer avait certes été clair dans
Mein Kampf, mais la progression délibérément lente et secrète du travail fait en ce sens par son gouvernement a réussi à endormir ses victimes en Allemagne ; tout comme elle a trompé et confondu la plupart des observateurs étrangers. L’universitaire et auteur mineur Victor Klemperer, un Allemand de confession protestante à ses propres yeux (1) mais un Juif à ceux du régime, a vécu et consigné le désastre comme il se déroulait à Dresde. S’il a vite décelé que la monomanie d’Hitler allait détruire le nazisme, il a compris plus lentement que l’anéantissement était son but, et très tard – presque trop tard – qu’il serait lui aussi tué s’il ne se remuait pas un peu.
Klemperer était le fils d’un rabbin, le cousin du célèbre chef d’orchestre Otto Klemperer, le cadet d’une importante...