Publié dans le magazine Books n° 74, mars 2016. Par Anna Della Subin.
L’indolence était la seule chose que lui ait apprise son père. Élégance faite homme, Albert Cossery était un lézard militant. Il dormait toute la matinée, passait ses après-midi au Flore à ne rien faire et écrivait un livre tous les dix ans. Où il faisait l’éloge des existences vouées à la rêverie et à la somnolence. Dormir n’est-il pas le seul moyen de supporter ce monde absurde et indigne ?
Dans une villa décrépite du delta du Nil, une famille passe ses journées à dormir, ne se levant qu’à l’heure des repas. Le cadavérique Galal, l’aîné de trois frères, grand-prêtre de la somnolence, entre en titubant dans la salle à manger, vêtu d’une chemise de nuit crasseuse. Certains disent que c’est un artiste. « Pourquoi êtes-vous réveillés ? » s’écrie-t-il, horrifié. Son oncle et ses frères sont attablés autour d’une marmite de lentilles. Le plus jeune, Serag, les yeux mi-clos, rêve en secret de se libérer de l’inertie familiale et d’accomplir l’impensable – trouver du travail – peut-être à l’usine qu’on construit près de là. Mais au cours de ses promenades d’exploration (il ne peut s’empêcher de s’endormir en chemin), il découvre la carcasse rouillée laissée inachevée. Leur père, le vieil Hafez, ne descend plus de sa chambre, mais caresse le projet controversé de prendre dans son grand âge une nouvelle épouse. Rafik, le cadet, doit veiller pendant la sieste afin de tuer la marieuse qui complote pour introduire dans leur taniè...