Publié dans le magazine Books n° 50, janvier 2014. Par Adam Thorpe.
À la fin du XVIIIe siècle, des savants éclairés s’élancent à l’assaut du Mont-Blanc, ce massif inexploré et « maudit ». Simple coïncidence ? Certes non. L’essor de l’alpinisme fut l’une des expressions les plus accomplies de la modernité européenne. Sur les pentes, s’est à la fois joué et reflété l’invention de l’individu, de la souveraineté populaire et de l’âge des loisirs.
Le 8 août 1786, deux hommes atteignirent le point culminant de l’Europe, aussi à leurs yeux le sommet du monde. Tous deux venaient de Chamonix, dont les toitures s’offraient en un spectacle rustique et hors du temps, tout en bas, dans la vallée. Michel-Gabriel Paccard était le médecin à la page de la bourgade; Jacques Balmat, fermier et chasseur de chamois, arrondissait aussi ses fins de mois en allant chercher des cristaux. Pendant des décennies, la montagne en question, haute de près de cinq kilomètres, avait été célébrée pour ses glaciers, pas pour son éminence enneigée. Jusque dans les années 1970, Chamonix avait attiré bien peu de visiteurs. Seuls les chasseurs osaient s’aventurer sur les hauteurs de ces massifs immenses, dont les pics étaient sagement abandonnés aux fantômes et aux dragons – forme poétique que prenait autrefois la vigilance en matière de santé et de sécurité.
En 1741, le jeune Britannique William Windham, sur la route de son « grand tour (1) », avait pris la tête d’une expédition grand-guignolesque dans les glaciers savoyards et publié avec son compagnon de voyage Pierre Martel une brochure qui baptise « mont...