Le livre des visages

Facebook, le livre des visages, est un nouveau média. A l’inverse de Wikipédia, où chaque sujet mobilise des auteurs anonymes, chaque auteur de Facebook est son propre sujet. (Si, du moins, l’on tient pour négligeable la création de sa propre notice sur Wikipedia). En effet, dans la société individuée (communicante) où le moi est en quête de sa demande sociale, chacun peut ressentir le besoin de donner au monde un signal de lui-même, de son existence, de son environnement. Ainsi Facebook a-t-il inventé les pages jaunes de l’ego.

Les usages de Facebook sont au moins aussi variés que ceux de Google qui fut, en son temps, la première transposition des pages jaunes à la recherche de pages web. Le principe économique des pages jaunes — on dit aussi des plateformes — est de créer un marché à deux versants dans lequel l’opérateur revend ses utilisateurs gratuits (son audience) à des annonceurs payants. Dans le cas de Google, cette manœuvre s’effectue à travers la mise au enchères des mots-clés. Dans le cas de Facebook, le modèle se cherche encore.

De là des enjeux importants sur le statut des informations des utilisateurs gratuits et l’usage que peut en faire l’opérateur en quête du second versant. Cette question, on le comprend, affecte crucialement la valorisation économique de l’opérateur. Elle permet de décrypter les revirements récents des promoteurs de Facebook qui, après avoir promulgué une nouvelle charte concédant à l’opérateur une licence perpétuelle et mondiale des informations déposées, l’ont aussitôt retirée voyant qu’un groupe de 130 000 opposants s’était rapidement structuré. Une nouvelle charte a été mise en débat visant à permettre à Facebook un usage économique, quoique moins léonin, des informations hébergées.

Le risque est d’abord que les utilisateurs redoutant l’usage fait de leur données par l’hébergeur renoncent à fréquenter le site. Il est aussi que le coût de mise à disposition du réseau par l’opérateur — d’autant plus cher que les données postées sont des contenus audiovisuels — reste durablement inférieur aux bénéfices de l’exploitation des données. Il est enfin qu’anticipant l’usage fait de leurs informations par des utilisateurs gratuits ou payants de la plateforme, les egos de Facebook ne communiquent plus que sur un mode promotionnel. Ce phénomène s’observe déjà sur les utilitaires de rencontre que sont Zoosk ou SpeedDate.

Au fur et à mesure que vont se préciser les règles économiques du fonctionnement de Facebook, on verra mieux qui parle de Facebook ou de moi. La part de l’ego et celle de l’éditeur modèleront ainsi le livre des visages, et les usages que lecteur en pourra retirer.

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