Publié dans le magazine Books n° 65, mai 2015. Par Jean de Bosschère.
Un homme peut-il se lier d’amitié avec un lis ? Une pensée peut-elle évoquer le casque de Pallas ? La nature n’est-elle finalement qu’un fabuleux poème vivant ? Force est de le croire à la lecture de ce texte luxuriant où les mots sont l’expression de ce qu’il faut bien appeler un sentiment amoureux pour les fleurs. Plus jamais vous ne regarderez un jardin, un brin d’herbe, un arbre de la même manière.
Du Lis dont je veux parler ici, j’ai gardé une image vivante dans mes souvenirs. Sa fleur ressuscite devant moi, plus nette que les portraits des êtres humains qui m’entouraient aux mêmes temps que cette plante. Ne m’était-elle plus chère que ceux-là ? L’habitude avait-elle émoussé la tendresse que j’avais éprouvée pour mes compagnons ? Pour répondre à cette question, je ne crois pas qu’il faille donner de l’importance au facteur durée, mais considérer seulement celui d’intensité. L’avantage et la faveur de survie dont est nourri ce Lis dans ma mémoire semblent être dus, en effet, à la profondeur de la première émotion. Nous penserons à la puissance qu’ont sur la mémoire des sens les impressions simultanées de surprise et de plénitude provoquées par un même spectacle. Le Lis imprima son image unique, parfaite et qui devait rester pure ; les compagnons, sur l’écran de ces jours-là, ont eux-mêmes par l’usure brouillé leurs contours. C’est par le phénomène de la surprise que le Lis de Cranleigh m’imprégna d’un sentiment auquel rien ne pouvait être...