Le dur labeur du Procès
Publié en juin 2024. Par Books.
Quand Kafka se mit à sa table à la mi-août 1914, deux mois après le début de la guerre et dans le sillage de l’abandon de ses fiançailles avec Felice Bauer, il rédigea le premier et le dernier chapitre du Procès. Le premier s’ouvre par l’annonce de l’arrestation de Joseph K. qui « n’avait rien fait de mal », le dernier s’achève par son exécution, « “Comme un chien !”, dit-il ». Il s’employa plusieurs années à rédiger les chapitres intermédiaires, sans parvenir à en achever aucun. Le livre lu jusqu’à récemment est le résultat d’une compilation de son ami Max Brod, « faite à partir d’un nombre considérable de fragments, de feuilles séparées et de textes tirés de ses carnets », écrit Karen Leeder à l’occasion de la parution en Allemagne d’une nouvelle édition contextualisée due au grand biographe de Kafka Reiner Stach, dont Books s’est plusieurs fois fait l’écho.
L’éditeur Fischer a sorti en 1990 une édition critique dans laquelle l’ordre des chapitres est modifié. Une édition en facsimilé a suivi, réalisée par Roland Reuss, qui permet au lecteur de suivre l’évolution de l’œuvre au fur et à mesure de sa réalisation, avec tous les repentirs de l’auteur ; Reuss abandonne toute idée d’ordonner les chapitres.
Stach exploite ces travaux tout en reprenant l’ordre des chapitres instauré par l’édition Fischer. Son apport tient surtout aux quelque 150 pages de « contexte » qu’il ajoute, écrit Karen Leeder, professeure de littérature allemande à Oxford, qui s’exprime dans le Times Literary Supplement. Il souligne l’humour de Kafka, dont le héros, par exemple, présente son permis de conduire un vélo comme preuve de son identité. La dernière phrase du roman a été réécrite maintes fois, de façon obsessionnelle, avant d’aboutir à sa version finale : « “Comme un chien !” dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. »