Publié dans le magazine Books n° 56, juillet-août 2014. Par Tilmann Moser.
Malheur à l’enfant investi de toutes les attentes de ses parents, et en particulier de sa mère, chargé d’apaiser leur chaos intérieur ou de combler le vide de leur existence ! Étouffant sa personnalité pour mieux répondre à leurs désirs et obtenir leur amour, il devient un adulte névrosé, perpétuellement en quête de reconnaissance. Et malheur à l’enfant de cet adulte-là ! Cette souffrance se transmet de génération en génération.
On définit généralement les névroses comme les tentatives malheureuses faites par l’être humain pour venir à bout de conflits intérieurs toujours renouvelés. Ces conflits prennent leur source dans le tiraillement de l’enfant entre ses pulsions et les interdits sociaux et parentaux. Selon sa force, le Moi se soumet aux interdictions, conquiert de haute lutte une certaine marge de liberté, ou bien encore se réfugie dans le langage secret de ses symptômes, tentant comme il peut de concilier plaisir et obéissance. Quand tout va bien, il
sent les conflits qui l’habitent et parvient donc à les exprimer, par la colère, la haine, le chagrin, la joie, l’envie, la jubilation ou la douleur. Quand il ne peut ni ressentir ni agir, ses mécanismes de défense lui viennent en aide, et c’est en sous-sol que se déchaîne l’enfer du refoulé.
Mais que se passe-t-il si l’instance qui rend possible le ressenti – le Soi –, centre actif de tous ces processus de défense, s’atrophie, se dessèche ? Celui-ci se nourrit, selon la formule devenue presque proverbiale du psychanalyste Heinz Kohut, de l’é...