Publié dans le magazine Books n° 14, juillet-août 2010. Par Richard Taruskin.
De Platon à Goebbels, de Jdanov à Khomeiny et aux talibans, le pouvoir de la musique n’a cessé de préoccuper les hérauts de l’État totalitaire. Entre la censure et l’interdiction totale, leur cœur balance. Le rejet viscéral associé à cette démarche dans nos vieilles démocraties ne doit pas pour autant conduire à l’extrême inverse, la position consistant à tout accepter sans contrôle. Controverse sur fond d’opéra et de 11-Septembre.
Et en plus, les talibans détestent la musique. Lors d’un entretien publié en octobre dernier dans le
Guardian britannique, l’ethnomusicologue John Baily décrivait le phénomène en détail. Après leur arrivée au pouvoir en 1996, les intégristes islamiques ont lancé des opérations de traque et de destruction systématique des instruments de musique et des magnétophones, brûlés en public. Des poteaux enrubannés des bandes audio et vidéo confisquées achevaient de rappeler l’interdiction de toute pratique musicale, imposée par le régime en raison d’une maxime prêtée au prophète Mahomet : « Celui qui écoute de la musique et des chansons en ce monde aura du plomb fondu coulé dans les oreilles le Jour final (1). »
Les musiciens pris sur le fait étaient corrigés à coup d’instruments et jetés en prison pour des peines pouvant aller jusqu’à quarante jours. Pour les femmes, une autre voie d’accès à la vie publique était désormais fermée. Les psalmodies rituelles étaient les seuls sons un tant soit peu musicaux diffusés par la radio des talibans – un art pourtant fort...