Publié dans le magazine Books n° 67, juillet - août 2015. Par Glen Warren Bowersock.
Sans l’Amérique, les Européens ne cuisineraient ni la tomate ni la pomme de terre. Sans la Chine, les Indiens ne boiraient pas de thé. Sans les Éthiopiens, les Italiens ne siroteraient pas de café… L’histoire des cuisines est celle de l’incroyable échange gastronomique auquel se livrent les peuples depuis des millénaires. Porté par le mouvement des empires, bien sûr, mais aussi et surtout celui des religions. Ce sont elles qui ont décidé de la consommation du sang, de l’alcool et des gaufres.
L’alimentation, jusque récemment, passionnait les économistes, les sociologues et les anthropologues. Mais les historiens jugeaient plutôt le sujet secondaire, sinon franchement frivole. Depuis que Claude Lévi-Strauss a mis en lumière le symbolisme du cru et du cuit, les références à la cuisine se sont, il est vrai, frayé un chemin dans les travaux d’histoire sociale. Les faits majeurs tels que les famines, le stockage des céréales et le cannibalisme ont trouvé leur place dans l’analyse historique en révélant à quel point le destin des nations et des individus dépendait de la culture des aliments, de leur transformation, de la manière dont on les cuisinait et les mangeait. Les chercheurs en sciences sociales ont, pour leur part, réfléchi à ce qu’ils appellent la commensalité, toutes les formes de repas pris en commun à la même table
(mensa), à la fois pour rassembler le groupe et pour maintenir les indésirables à l’écart.
Cela étant, la gastronomie, que Rachel Laudan définit dans son dernier ouvrage comme les « styles de préparation culinaire », a été abandonnée aux livres de cuisine et aux magazines...