Le bon niveau d’inégalité
Publié dans le magazine Books n° 17, novembre 2010. Par Olivier Postel-Vinay.
Nul ne l’ignore, l’égalité réelle est un mythe.
Si tous les hommes étaient égaux, ils seraient des clones génétiques et leur cerveau ne serait pas affecté ni même influencé par l’environnement et les expériences traversées. Il n’y aurait pas de sexe ni d’âge, ni beaux ni laids, pas de maladie ni d’accident individuel. Bref, un cauchemar de science-fiction ! Mais depuis que l’homme est sapiens, il a un sens du juste et de l’injuste.
« Tous les hommes ont reçu de Zeus le sentiment de la justice, car si c’était seulement un petit nombre d’entre eux, il n’y aurait pas de cités », observe Socrate. Pour assurer leur équilibre, les sociétés les plus anciennes ont donc instauré et codifié des droits : pour une catégorie sociale donnée, il y avait une égalité des droits. Après quoi est venue progressivement l’idée d’étendre cette égalité sélective des droits à l’ensemble de la société. Ce fut l’ambition démocratique, toujours d’actualité. L’abolition de l’esclavage et le vote des femmes s’inscrivent dans cette histoire.
Pourtant, dès le siècle des Lumières, certains perçurent que, dans une société marchande, décréter l’égalité des droits ne pouvait suffire à empêcher de très fortes inégalités de fait, portant atteinte au sens de la justice et susceptibles de menacer la paix sociale. L’aspiration communiste est née de cette constatation. Les sociétés riches qui ont su préserver la démocratie ont instauré dès la fin du XIXe siècle des dispositifs compensatoires et protecteurs destinés tant à limiter ces inégalités réelles qu’à favoriser la croissance économique. Différents types d’États-providence se sont mis en place, tolérant différents niveaux d’inégalité sociale. La question que nous posons dans ce dossier est celle-ci : un type d’État-providence vaut-il mieux qu’un autre, du point de vue de la justice sociale et de l’efficacité économique ? Autrement dit, y a-t-il un bon niveau d’inégalité sociale ?