Le bébé en chocolat de Mme de Sévigné
La Tasse de chocolat
Bon contre la fatigue, le stress, l’ostéoporose ou l’AVC… On prête mille vertus au chocolat. A la fin du XVIIe siècle, quelques décennies après l’apparition du cacao sur les tables françaises, Mme de Sévigné s’interroge sur cet aliment à la mode. Elle fait part de ses doutes dans ses lettres à sa fille, Mme de Grignan. Extraits.
A Paris, mercredi 15 avril 1671
[…] Je veux vous dire, ma chère enfant, que le chocolat n’est plus avec moi comme il était ; la mode m’a entraînée comme elle fait toujours : tous ceux qui m’en disaient du bien m’en disent du mal ; on le maudit, on l’accuse de tous les maux qu’on a ; il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue qui vous conduit à la mort ; enfin, ma fille, le grand maître [le comte de Lude], qui en vivait, est son ennemi déclaré : vous pouvez penser si je puis être d’un autre sentiment.
Au nom de Dieu, ne vous engagez point à le soutenir, et songez que ce n’est plus la mode du bel air. Tous les grands et moins grands en disent autant de mal qu’ils disent de bien. […]
Aux Rochers, dimanche 25 octobre 1671
[…] Mais le chocolat, qu’en dirons-nous ? N’avez-vous point peur de vous brûler le sang ? Tous ces effets si miraculeux ne nous cacheront-ils point quelque embrasement ? Dans l’état où vous êtes, ma chère enfant, rassurez-moi, car je crains ces mêmes effets. J’ai aimé le chocolat, comme vous savez ; il me semble qu’il m’a brûlée, et depuis j’en ai bien entendu dire du mal ; mais vous dépeignez et vous dites si bien les merveilles qu’il fait en vous, que je ne sais plus qu’en penser. Cet endroit de la lettre de Coulanges [cousin et ami de Mme de Sévigné] est très plaisant, mais en tout je vous assure qu’elle est plaisante. Adieu, ma très chère et très aimable, je prendrai grand plaisir à lire le chapitre de la tendresse que vous avez pour moi : je vous promets de demeurer fixée dans l’opinion que j’en ai ; mais, pour plus grande sûreté, soyez fixée aussi à m’en donner des marques, comme vous faites. Vous savez avec quelle passion je vous aime, et quelle inclination j’ai eue toute ma vie pour vous : tout ce qui peut m’avoir rendue haïssable venait de ce fonds : il est en vous de me rendre la vie heureuse ou malheureuse. J’embrasse le Comte. La marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat, étant grosse l’année passée, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme un diable, qui mourut. […]
Aux Rochers, mercredi 28 octobre 1671
Des scorpions, ma fille ! Il me semble que c’était là un vrai chapitre pour le livre de M. de Coulanges. Celui de l’étonnement de vos entrailles sur la glace et sur le chocolat est une matière que je veux traiter à fond avec lui, mais plutôt avec vous, et vous demander de bonne foi si vos entrailles n’en sont point offensées, et si elles ne vous font point de bonnes coliques, pour vous apprendre à leur donner de telles antipéristases : voilà un grand mot. J’ai voulu me raccommoder avec le chocolat ; j’en pris avant-hier pour digérer mon dîner, afin de bien souper, et j’en pris hier pour me nourrir, afin de jeûner jusqu’au soir : il m’a fait tous les effets que je voulais. Voilà de quoi je le trouve plaisant, c’est qu’il agit selon l’intention. Je ne sais pas ce que vous avez fait ce matin ; pour moi, je me suis mise dans la rosée jusqu’à mi-jambes pour prendre des alignements ; je fais des allées de retour tout autour de mon parc, qui seront d’une grande beauté ; si mon fils aime les bois et les promenades, il bénira bien ma mémoire. […]