Exit, peut-être, Virgin Megastore – victime de l’ineptie de son investisseur, de la prédation des grandes surfaces, et bien sûr d’Amazon et d’Internet Pour la musique (l’essentiel du business de Virgin), la culpabilité du Web est chose entendue : celui-ci a eu raison des vinyles, des cassettes, des CD, et, hélas, des disquaires. Pour le livre et les libraires, le verdict est en suspens – en France notamment, où la loi Lang leur procure un rempart qui tient encore le coup. Et l’on souhaite évidemment profiter encore longtemps de leurs boutiques où il fait si bon flâner, et de leurs conseils – les libraires ne sont-ils pas, comme dit John Updike, « le sel du monde des lettres » ? Pourtant les temps se durcissent, et beaucoup d’entre eux sont à la peine.
Faut-il pour autant vilipender le numérique ? Pour bien des assidus de la lecture, la vie à l’heure des liseuses et du Net est tout de même plus facile. Le progrès, ce n’est pas seulement une « idéologie pour les Belges » (
dixit Baudelaire), et l’on peut très bien, sans être un « ravi de la technologie » (Michel Serres), se réjouir d’avoir accès à quelque 10 millions de livres (1) – des livres que l’on peut choisir, acheter, télécharger en à peine deux minutes montre en main, et stocker par dizaines dans un petit objet. Des livres à moindre coût, parfois gratuits (2). En plus, on peut sur son appareil faire toutes sortes de recherches (combien de fois le mot « sexe » dans la Bible ? 137 !), scruter le texte, aller droit au but si l’on est en quête d’une info urgente, et aligner des kilomètres de citations aisément consultables. Enfin, pour les vieillissants lecteurs de notre vieillissant pays, quelle commodité que de pouvoir ajuster la taille des caractères à l’état de ses yeux.
Il n’y a pas lieu non plus d’opposer les « anciens », adorateurs du livre objet, aux « modernes », sectateurs de l’e-book. Aux États-Unis, non seulement ces derniers (20 % des Américains) lisent de plus en plus, ils achètent aussi davantage de bons vieux livres (3). Les deux mondes peuvent donc cohabiter, et pourraient même à terme s’interpénétrer. Avec le « Print on demand » (POD), qui permettrait d’être sûr de trouver en boutique un livre souhaité, car celui-ci serait imprimé dans l’instant depuis un fichier numérique, les libraires disposeraient – rêvons un peu – d’une bouée de sauvetage (et les auteurs aussi, qui pourraient plus facilement s’autopublier et s’autodiffuser). Et, dans le sens inverse, rien n’empêche dès aujourd’hui de relier son Kindle à l’ancienne, comme je l’ai fait, avec une élégante couvrure de bougran.
Notes
1| En anglais ; l’offre numérique française est à la traîne : de l’ordre de 1 % des nouvelles publications contre plus de 70 % aux États-Unis.
2| Soit parce qu’ils sont « hors droits », soit – si l’on vit aux États-Unis et que l’on est client d’Amazon et éligible au Kindle Owners’ Lending Library for Amazon Prime Members – parce qu’on les emprunte à d’autres lecteurs.
3| Pew Research, « The rise of e-reading », 4 avril 2012.