L’acquittement de Babar
Jean de Brunhoff, le mariage de Babar
Tous les héros de notre enfance ne sont pas fréquentables. Pour certains parents et intellectuels, nous devons oublier George le Curieux et Tintin au Congo, trop marqués par le colonialisme, Elmer l’éléphant, taxé de racisme, Petit Ours Brun, antiféministe, et bien sûr dire adieu à Babar, qui combine sexisme, élitisme, colonialisme et racisme. Des livres entiers ont été écrits pour renverser le sympathique roi des éléphants. Dans The Empire’s Old Clothes, l’écrivain chilien Ariel Dorfman décrit les deux albums culte de Jean de Brunhoff, Histoire de Babar et Le Roi Babar, publiés en 1931 et 1933, comme de subtils instruments au service de la propagande coloniale. Dans Faut-il brûler Babar ?, Herbert Kohl déplore pour sa part la rapidité avec laquelle Babar endosse les habits (au sens propre et figuré) de l’homme riche. Il analyse ses aventures comme une ode à l’élitisme et au capitalisme. Et bien qu’il avoue avoir adoré Babar, petit, il assure « qu’une lecture non critique de ce livre est potentiellement si dangereuse qu’il faut le dissimuler à la vue des enfants ».
A vrai dire, Babar est un animal de son temps. Dans les années 1930, les femmes étaient cantonnées au foyer, comme Céleste, son épouse ; « les cultures adultes et enfantines étaient naïvement racistes », ajoute Alison Lurie dans The New York Review of Books. Sur ce point, ajoute-t-elle, Laurent de Brunhoff – qui a imaginé les aventures du célèbre éléphant à la suite de son père (mort quand il avait 12 ans) – est l’un des premiers écrivains pour la jeunesse à avoir fait amende honorable, intégrant des dessins réalistes de personnages noirs dans ses œuvres et s’opposant à la réédition du Pique-nique de Babar.
Adam Gopnik, dans Drawing Babar, va plus loin. Il assure que Jean de Bunhoff savait parfaitement ce qu’il faisait. « En invoquant le monde colonial des années 1930 et la mission civilisatrice de la France qui subjuguait les gens, il en proposait aussi une satire, louant certains points tout en étant prudent sur d’autres, reconnaissant le besoin de civilisation tout en en soulignant le prix. Y voir une allégorie pure et simple, ou un message politique sans ambiguïté, n’est pas possible », écrit-il.
Pour Laurent de Brunhoff, la vérité est encore plus simple. Dans un entretien publié dans The Globe and Mail en 2014, il explique : « Le fait de montrer un éléphant debout comme un homme était juste amusant ».