Publié dans le magazine Books n° 69, octobre 2015. Par Donald Rayfield.
Pas facile de trouver l’équilibre quand votre père est l’un des pires dictateurs du XXe siècle. En témoigne le destin tourmenté de la fille de Joseph Staline, Svetlana Alliluyeva. Son passage à l’Ouest, à la fin des années 1960, fut pour elle le début d’une perpétuelle errance. Une récente biographie dévoile la personnalité de cette femme instable, paranoïaque, mais aussi généreuse et parfois héroïque, à jamais torturée par son passé.
Je n’ai jamais rencontré la fille de Staline, Svetlana Alliluyeva
[elle avait pris le nom de jeune fille de sa mère après la mort de son père], et je n’avais jamais vraiment compris ce qu’elle avait enduré ni ce qu’elle avait accompli avant de lire l’excellente biographie que lui consacre Rosemary Sullivan. Son chemin a pourtant croisé le mien à de nombreuses reprises. J’étais à Delhi en février 1967 quand, à la suite d’une erreur spectaculaire des autorités soviétiques, elle fut autorisée à quitter le territoire pour aller disperser dans les eaux du Gange les cendres du communiste indien Bajesh Singh, le seul homme à lui avoir donné quelques années de bonheur. Elle en profita pour faire défection et finit par rejoindre les États-Unis. Au printemps 1985, j’habitais sur l’avenue Chavchavadze, à Tbilissi (une rue où vivaient à la fois des dignitaires du Parti et des intellectuels dissidents), quand Svetlana s’y installa lors de son bref retour en URSS avec Olga, sa fille née aux États-Unis. Ses voisins racontaient qu’ils entendaient pleurer le soir dans son lit l’adolescente déracinée, qui ne parlait ni...