Publié dans le magazine Books n° 50, janvier 2014. Par Jerome Groopman.
À 6 mois, elle refusait l’étreinte de sa mère. À 3 ans, elle était ingérable et ne parlait pas. Le neurologue prononça un diagnostic d’autisme. Temple Grandin est aujourd’hui professeur d’université et sait mieux que personne faire partager la perception du monde des autistes. Elle sait aussi dire leur fait aux chercheurs qui ne jurent que par l’imagerie cérébrale ou le « gène de l’autisme ». Un phénomène aussi complexe ne peut se comprendre qu’individu par individu.
Je n’ai jamais appris à taper à la machine. Je suis capable, tout au plus, de chercher les touches et de taper avec deux doigts, les yeux rivés au clavier. Au lieu de cours de dactylo, on m’a inculqué le travail du métal : façonner des solins, souder des fils, percer le fer-blanc. Cet apprentissage remonte à mon année de CM2 à l’école publique 187, dans le Queens. Notre maîtresse, Mme L., avait divisé la classe en deux groupes : les élèves capables de suivre un « cursus général » et d’aller jusqu’à l’université, et les élèves comme moi, bons pour la filière professionnelle et destinés au travail en usine ou en atelier de réparation.
Mme L. était une quadragénaire trapue à la mine austère. Elle nous avait fait comprendre les qualités de l’élève prometteur : écriture soignée, bonne position, attention soutenue aux leçons. Il ne lui fallut pas longtemps pour conclure que je ne possédais aucune de ces caractéristiques. Je passais le plus clair de mes journées à regarder par la fenêtre la cour de récréation bétonnée, à rêver...