La saga du baclofène (4) – La servilité du Quotidien du Médecin
Publié en juillet 2012. Par Bernard Granger.
Dans ce nouvel épisode de la série qu’il consacre au baclofène, un médicament contre l’alcoolisme à l’efficacité démontrée, le Pr Bernard Granger accuse le journal de référence du monde médical français de complaisance à l’égard de l’industrie pharmaceutique.
Auditionnés devant cette commission, les principaux représentants de la presse médicale ont été mal à l’aise et, disons-le, assez peu convaincants. Alors qu’on lui demandait pourquoi son journal n’avait pas rendu compte du livre d’Irène Frachon sur le scandale du Médiator, le président-directeur général du Quotidien du Médecin avait répondu fort élégamment qu’il ne faisait pas « les chiens écrasés ». Le syndicat national des journalistes avait à cette occasion rappelé les pratiques non éthiques d’une presse asservie à des intérêts commerciaux dans un communiqué daté du 13 avril 2011. Le SNJ appelait « l’ensemble des rédactions de la presse médicale à un sursaut déontologique, salvateur en pleine crise de confiance des lecteurs pour leurs organes de presse et du public pour l’industrie du médicament. » Hélas, nul sursaut ! Rien n’a changé !
En effet, dans son édition du 29 mai 2012, le Quotidien du Médecin, sous la plume de monsieur Chiens-Ecrasés, son président-directeur général, est intervenu dans le débat suscité par le baclofène sous le titre « Des miracles hors AMM ? » et dans ces termes :
« Le Nouvel Observateur l’a mis en couverture de son dernier numéro : « On a trouvé un remède contre l’alcoolisme ! » Ah bon ? Ils savent déjà qu’à la rentrée 2012 pourrait sortir une nouvelle molécule, le nalméfène, qui semble, après trois études contrôlées de phase III, efficace et bien tolérée dans le traitement de la dépendance à l’alcool ? Pas le moins du monde ! Il s’agit du baclofène, dont les supporters enthousiastes poussent à une large utilisation hors AMM, en l’absence d’études contrôlées dans l’indication de la dépendance à l’alcool et malgré de sérieux doutes sur la tolérance à une large échelle de cette molécule.
La pression de prescription, relayée par les médias grand public, prend des proportions dont on peut s’étonner que nos autorités, promptes à dénoncer le scandale de la prescription hors AMM du Mediator, laissent faire… Pourtant, la surcharge pondérale ne constitue-t-elle pas un facteur de risque aussi sévère que l’alcoolisme ? Ne devait-on plus, promis, juré, laisser utiliser à une telle échelle des produits hors AMM sans preuves sérieuses, dans un cadre rigoureux, de la tolérance et de l’innocuité du produit ? Y aurait-il deux poids deux mesures permettant dans un cas de condamner avant de juger et dans l’autre de décider sans savoir ?
N’y a-t-il donc plus de lanceurs d’alerte ?
Qui sera condamné lorsque surviendront des accidents sévères, voire des morts ?
En tout cas, au « Quotidien », on la lance, l’alerte ! »
Qui s’étonnera que cette publication fasse la promotion du laboratoire Lundbeck et de l’un de ses produits en voie de commercialisation, le nalméfène, et cherche à intimider ceux qui prescrivent son principal concurrent, le baclofène. Se prétendre lanceur d’alerte quand on fait la propagande d’une entreprise qui vous finance ne manque pas de sel. Surtout, chaque phrase ou presque de ce texte contient une contre-vérité. Il est indispensable de rétablir certains faits.
La formule « efficace et bien toléré », usée jusqu’à la corde car employée pour chaque sortie d’un nouveau médicament, s’applique-t-elle vraiment au nalméfène ? En réalité, c’est un traitement peu efficace puisqu’il permet seulement de réduire dans de très modestes proportions la consommation d’alcool, en moyenne d’un verre dans les essais en double aveugle contre placebo. La première demande d’autorisation de mise sur le marché n’a pas été accordée à ce médicament en raison de sa faible efficacité et des problèmes méthodologiques que pose sa demande d’enregistrement. Le nalméfène traite-t-il la dépendance à l’alcool ? Certainement pas. Il est une sorte de double d’un produit déjà commercialisé depuis longtemps, la naltrexone, et dont l’efficacité est très réduite. Il ne s’agit donc pas d’une avancée thérapeutique, contrairement au baclofène, qui lui, ne fait l’objet d’aucune promotion par l’industrie pharmaceutique.
Le président-directeur général du Quotidien du Médecin oublie de dire qu’on dispose sur le baclofène de données d’efficacité et de tolérance suffisantes pour que les pouvoirs publics, dont il dénonce à tort l’inertie, aient souligné son intérêt dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance et donné un feu vert à son utilisation dans cette indication, même s’il ne s’agit pas d’une autorisation de mise sur le marché en bonne et due forme (voir le point d’information de l’Agence nationale de sécurité du médicament en date du 24 avril 2012). L’ANSM déclare aussi que les données de pharmacovigilance sont rassurantes. On rappelle qu’aucun mort lié à l’utilisation du baclofène n’est à ce jour à déplorer et qu’en cas d’absorption massive, le baclofène seul est sans danger.
Par un curieux raisonnement, Le Quotidien du Médecin dit qu’il ne faudrait pas prescrire le baclofène parce qu’il risquerait d’y avoir des morts, alors qu’il n’y en a pas, et fait un parallèle avec l’affaire du Médiator. S’il y a un parallèle, il se trouve dans la constante servilité de cet organe de presse à l’égard de ceux qui lui assurent ses bénéfices.
Comment oser dire enfin qu’il n’y a pas de preuves sérieuses d’efficacité du baclofène ? Certes le niveau de preuve de l’efficacité du baclofène n’est pas celui des essais en double aveugle contre placebo. Le premier essai de ce type vient de démarrer après beaucoup de tergiversations de la bureaucratie sanitaire française. Le niveau de preuve, plus faible mais néanmoins acceptable, repose principalement sur une étude de cohorte portant sur 181 malades suivis plus d’un an. Elle montre que si on comptabilise les perdus de vue (49 patients) comme des échecs du traitement, ce qui n’est pas forcément le cas, le taux d’abstinence ou de consommation modérée à un an est de 58%. Comme tous les témoignages des patients le confirment, ce traitement est beaucoup plus efficace que tout ce qui existe par ailleurs dans le traitement de la dépendance à l’alcool. C’est bien parce que les pouvoirs publics ont compris l’intérêt du baclofène pour aider les alcoolo-dépendants qu’ils en facilitent l’usage. Ceux qui cherchent à le freiner ont en vue d’autres intérêts que celui des malades.
Bernard Granger