La Russie n’est pas un allié mais elle peut être un partenaire
Publié en février 2013. Par Le Plus.
Pour Pascal Boniface, directeur de l'IRIS, attaquer la Russie sur la question des droits de l'homme est contre-productif. L'heure où les dirigeants occidentaux pouvaient faire la leçon aux autres est révolue. Lire cet article sur le Plus.
François Hollande va effectuer les 27 et 28 février un déplacement officiel à Moscou. Ce sera l’occasion de faire le point sur les relations entre la France et la Russie.
Poutine aurait préféré voir Nicolas Sarkozy être réélu. Si ce dernier avait, au cours de la campagne de 2007, déclaré qu’il ne lui serrerait jamais la main, il avait par la suite développé d’excellentes relations avec Moscou, allant jusqu’à la vente d’équipements militaires, une première à l’égard de la Russie pour un pays de l’OTAN.
D’une façon générale, les dirigeants du Kremlin n’aiment guère le changement et préfèrent traiter avec les gens qu’ils connaissent, plutôt que d’avoir à réorganiser leur logiciel de relations après un changement de pouvoir.
Ne pas opposer diplomatie morale et realpolitik
Hollande, pour sa part, n’a aucun élan particulier pour Poutine. Mais les faits ont la tête dure. Au-delà de leurs sentiments personnels, Poutine et Hollande savent qu’ils sont l’un et l’autre à la tête de leur pays pour les prochaines années et doivent donc travailler ensemble.
La presse française, qui est de façon globale relativement hostile à la Russie, a toujours tendance à présenter la relation franco-russe comme un choix binaire et exclusif entre les intérêts commerciaux ou la promotion des valeurs. Mais opposer de façon manichéenne diplomatie morale et realpolitik correspond rarement à la complexité des relations internationales.
Il est indéniable qu’il y a un durcissement de la Russie sur la question des droits de l’homme depuis le retour de Poutine à la présidence. Il est tout aussi indéniable que malgré cela, une société civile s’enracine et que la contestation se développe. Cette nouvelle classe moyenne frondeuse ne sera pas réduite au silence. C’est un phénomène trop fort, aussi bien en Russie qu’au niveau mondial.
Il faut également prendre en considération que Poutine conserve d’importants appuis parmi les citoyens russes qui lui sont reconnaissants d’avoir restauré le statut international du pays et fait redécoller l’économie après le désastre des années Eltsine lors desquelles la nation russe avait été humiliée et la population appauvrie.
La France ne peut ignorer le poids de la Russie
François Hollande peut choisir de critiquer publiquement Poutine sur la question des droits de l’homme lors de son séjour. Il aura les honneurs de la presse, un courant de sympathie en France, mais cela ne changera pas d’un iota la politique du président russe. Cela sera au contraire l’occasion d’une crispation supplémentaire. L’heure où les dirigeants occidentaux pouvaient faire la leçon aux autres est révolue.
Il serait beaucoup plus judicieux d’attirer son attention lors des entretiens sur les difficultés d’image de la Russie et les entraves que cela peut apporter à la coopération franco-russe.
Si la France veut continuer à jouer un rôle important sur la scène internationale, elle doit partir des réalités stratégiques. Cela ne veut pas dire se contenter du monde existant, cela veut dire que pour améliorer l’ordre des choses, il faut tout d’abord avoir une appréciation exacte des rapports de force.
La France ne peut pas se contenter d’avoir de bonnes relations avec les pays occidentaux. Elle ne peut ignorer le poids de la Russie ni le poids de la Chine quelles que soient les divergences que l’on puisse avoir avec elles. Il n’y a pas plus d’amitié totale que d’inimitié globale. La Russie n’est pas un allié, elle peut être un partenaire. Son statut au Conseil de sécurité, son poids mondial, ses matières premières, l’attractivité de son marché doivent être pris en compte, dans l’intérêt de la France.
Aller au-delà d'une politique de posture
Nous avons avec Moscou de graves divergences sur la Syrie, il faut en parler ouvertement.
Il faut aussi tenir compte du fait qu’après n’avoir pas opposé son veto à l’opération militaire en Libye, elle s’est sentie flouée lorsque nous avons en cours de route changé la mission, passant de la responsabilité de protéger qu’elle avait accepté, au changement de régime qu’elle condamne. Sur le Mali par contre, par deux fois au Conseil de sécurité, elle a approuvé les initiatives françaises et joué un rôle positif.
Nous n’avons pas à être d’accord sur tout avec Moscou, mais il est inutile et contre-productif de prendre des postures qui ne débouchent sur rien. Nous ne sommes pas réduits au silence lorsque nous avons des désaccords avec eux mais ces désaccords ne doivent pas nous empêcher de voir toutes les possibilités de travail commun et de coopérations qui nous sont mutuellement bénéfiques.
Pascal Boniface, directeur de l'IRIS.