Publié dans le magazine Books n° 34, juillet-août 2012. Par Ruth Scurr.
Peu d’ouvrages ressemblent autant à leur objet. Avec ce manuscrit de légende, réécrit après être parti en fumée, Thomas Carlyle nous offre un livre sauvage et fou comme la Révolution. Historien-reporter avant la lettre, il saisit au plus près les émotions de la période. Ici il évoque le regard de Robespierre ou montre la passion d’un révolutionnaire anonyme ; là il décrit les robes de mousseline souillées par une averse ou visite le sommeil d’un Parisien indifférent aux événements.
« Connaissez-vous le mot écossais threep ? », demanda Thomas Carlyle à son ami John Sterling le 17 janvier 1837, cinq jours après avoir terminé le troisième et dernier volume de son histoire de la Révolution française. « J’avais pris la résolution (threep) de n’écrire à personne, de ne pas quitter Londres et de ne connaître ni repos, ni satisfaction, ni plaisir de la vie avant d’en avoir fini avec cette ignominie. » Londres était alors d’un froid glacial ; tout était gelé quand il se réveillait le matin, même ses vêtements, mais l’opiniâtreté de Carlyle n’avait pas été vaine. Au moment où il écrivait à Sterling, dans la maison qu’il louait à Chelsea sur Cheyne Row, son manuscrit était chez l’imprimeur. Passé quelques semaines, il espérait pouvoir s’en laver les mains « à tout jamais ».
Depuis 1834, il avait consacré toute son énergie à cet ouvrage : « C’est un livre sauvage et fou, une sorte de Révolution française à lui tout seul, que le monde – si la Providence le veut – ferait peut-être mieux de refuser. Il est sorti fumant du fond de mon âme, né dans les ténèbres, la tourmente et...