Publié dans le magazine Books n° 26, octobre 2011. Par Mario Vargas Llosa.
Injustement décrié pour sa neutralité pendant la guerre d’Espagne, l’auteur de La Révolte des masses était pourtant un penseur de premier plan. À bien des égards prophétique, ce libéral convaincu, laïc, démocrate élitiste, promoteur de l’idée européenne, mettait en garde contre les radicalismes de droite comme de gauche.
En 1930 paraissait
La Révolte des masses, livre parmi les plus importants de José Ortega y Gasset, ce philosophe parmi les plus élégants et les plus intelligents du libéralisme. Mais la guerre civile espagnole, les quarante années de dictature franquiste et l’apogée des doctrines marxistes qui ont marqué l’Europe de la seconde moitié du XXe siècle ont injustement relégué sa réflexion au grenier, parmi les vieilleries. Quand ces circonstances ne l’ont pas dénaturée, réduite à une référence de la pensée conservatrice. Il existe pourtant un abîme entre libéralisme et conservatisme, comme l’a montré Friedrich Hayek dans un essai célèbre (1).
Bien qu’il n’ait jamais systématisé sa pensée dans un corpus d’idées organisées, Ortega y Gasset a développé, dans ses innombrables essais, articles, conférences et notes, un discours incontestablement libéral, aussi critique à l’égard de l’extrémisme dogmatique de la gauche que du conservatisme autoritaire, nationaliste et catholique de la droite. Et cette philosophie n’a rien perdu de son actualité. Elle prend même aujourd’hui un étonnant...